Auteur : Raphaël Bijard
Date création : 31 décembre 2022
Dernière édition : 19 avril 2023
Les Thibaldiens : origines, premières alliances et
ascension politique
Monnaie de Thibaud le Tricheur, BnF.
1
Table des matières
Les premiers Thibaldiens : un dossier loin d’être clos ....................................................................................... 4
Les confins nord de la Bourgogne (seconde moitié du IXe siècle) ..................................................................... 8
Dans les pays de la Loire .................................................................................................................................. 15
Le mariage de Thibaud l’Ancien ...................................................................................................................... 17
L’ascension du vicomte de Tours..................................................................................................................... 21
La première phase de la vie de Thibaud le Tricheur........................................................................................ 27
L’acquisition du comitatus chartrain ............................................................................................................... 30
Le grand comté de Thibaud le Tricheur dans les décennies centrales du Xe siècle......................................... 38
La seconde phase de la vie de Thibaud le Tricheur ......................................................................................... 51
Le satrape de Neustrie..................................................................................................................................... 59
Eudes Ier ou la confirmation d’un virage politique .......................................................................................... 66
Eudes II et les transactions de 1015 et 1022/24 ............................................................................................. 74
En guise de bilan : une relecture de la formation du comté de Champagne .................................................. 78
Bibliographie .................................................................................................................................................... 81
Annexes ........................................................................................................................................................... 88
2
Abstract:
The powerful lineage of the Thibaldians who were counts in Blois, in Chartres and then in Champagne still
raises questions about their origins and their rise. This study shows that they probably had their roots on the
borders of northern Burgundy and Lotharingia. The political uncertainties of the end of the 9th century
pushed one of their offspring to join the loyalty of the Robertians, in the heart of their regnum, the
Neustrian Loire. The tropism towards Burgundy and Lotharingia nevertheless remains a constant among the
Thibaldians and partly explains the genesis of the future Champagne. This study also shows how the
“March” that Hugh the Great entrusted to Theobald the Trickster was constructed. It casts a new look which
makes it possible to remove several contradictions regarding the alliances of the first Thibaldians and even
more regarding their county responsibilities in Tours, Blois, Châteaudun or Chartres, as on their role north of
the Seine, in Provins and in Berry. In the light of this reassessment, we will return, in a final and more
concise part, to the various crises between Capetians and Thibaldians (962, 991, 1014 and 1022) and their
consequences.
Keywords: Thibaldians, Milonids, Widonids, Robertians, Counties of Ornois and Bolenois, Viscounty of Tours,
Theobald the Elder, Blois oppidum, County of Chartres, Theobald I the Trickster, Hugonids, Rorgonids,
Warnerian Bosonids, Provins, Norman March in Neustria, Herbertians, Abbey St-Florent of Saumur, Abbey of
Marmoutier, County of Champagne development, Odo I of Blois, Odo II of Blois-Champagne,
prosopography, historiography, castle archaeology, coinage in Blois-Chartres, Lordship of Sancerre
Résumé :
Le puissant lignage des Thibaldiens qui furent comtes à Blois, à Chartres puis en Champagne soulève encore
des questions au sujet de leurs origines et de leur ascension. Cette étude montre qu’ils plongeaient
vraisemblablement leurs racines aux confins de la Bourgogne du nord et de la Lotharingie. Les aléas
politiques de la fin du IXe siècle poussa un de leur rejeton à rejoindre la fidélité des Robertiens, au cœur de
leur regnum, la Neustrie ligérienne. Le tropisme vers la Bourgogne et la Lotharingie demeure néanmoins
une constante chez les Thibaldiens et explique en partie la genèse de la future Champagne. Cette étude
montre aussi comment a été construite la « marche » qu’Hugues le Grand a confié à Thibaud dit le Tricheur.
Elle jette un regard nouveau qui permet de lever nombre de contradictions quant aux alliances des premiers
Thibaldiens et plus encore sur leurs responsabilités comtales à Tours, Blois, Châteaudun ou Chartres ;
comme sur leur rôle au nord de la Seine, à Provins et dans le Berry. À la lumière de cette réévaluation, nous
reviendrons, dans une dernière partie plus synthétique, sur les différentes crises entre Capétiens et
Thibaldiens (962, 991, 1014 et 1022) et sur leurs conséquences.
Mots-clés : Thibaldiens, Milonides, Widonides, Robertiens, comtés d’Ornois et de Bolenois, vicomté de Tours,
Thibaud l’Ancien, oppidum de Blois, comté de Chartres, Thibaud Ier le Tricheur, Hugonides, Rorgonides,
Bosonides Garnériens, Provins, Marche Normande en Neustrie, Herbertiens, Abbaye Saint-Florent de
Saumur, Abbaye de Marmoutier, formation du comté de Champagne, Eudes Ier de Blois, Eudes II de BloisChampagne, prosopographie, historiographie, archéologie castrale, monnaie bléso-chartraine, Sancerrois
3
Les premiers Thibaldiens : un dossier loin d’être clos
Les Thibaldiens suscitent un intérêt naturel. Ils sont à l’origine de la puissante Maison de Blois-Champagne.
Ils sont au cœur des grandes affaires européennes du Moyen-Âge central. Aussi les ouvrages et les études1
sur leurs origines et leur ascension politique ne manquent pas.
Quand on trace à grand trait l’histoire des premiers Thibaldiens, à partir de la bibliographie existante et
plutôt vulgarisatrice, apparait un schéma consensuel qui est à peu près le suivant :
•
•
•
•
•
•
Thibaud l’Ancien apparait comme vicomte de Tours au plus tard en 908. Nous connaissons mal ses
origines et on nous explique, souvent de manière péremptoire, son ascension grâce à sa seule
épouse connue, Richilde. Pourtant de cette dernière nous ne sommes guère plus renseignés et
sommes incapables d’en connaître le milieu d’origine de façon assurée ;
Chronologiquement, le second grand honneur vicomtal acquis par le Thibaldien serait Blois. Le
robertien Hugues le Grand est alors marquis de Neustrie. Cependant la date et les circonstances de
cette acquisition sont loin d’être partagées. Quant à la signification à donner à cette concentration
de pouvoirs Tours-Blois-marges du Berry, aucune étude aboutie n’en offre la clé de lecture ;
C’est sur ce terrain finalement instable qu’apparaît ensuite l’acquisition du comté de Chartres
(voire de Châteaudun) par Thibaud Ier dit le Tricheur, fils de Thibaud l’Ancien. Ce sont les travaux de
Karl Ferdinand Werner2 qui depuis les années 960 servent de référence à cette phase de la montée
en puissance de la famille de Blois. Sa théorie repose principalement sur une hypothétique
« usurpation » qu’aurait exercé Thibaud Ier profitant de l’impotence du jeune Hugues Capet, fils de
Hugues le Grand. Si les travaux de l’historien allemand demeurent fondamentaux, on regrettera à
ce stade l’absence de débat contradictoire sur un thème où les incohérences ne manquent pas ;
Le mariage, au plus tôt en 943, de Thibaud le Tricheur avec l’herbertienne Lietgarde et son rôle
dans la principauté de son beau-père sont mieux connus grâce à de meilleurs sources dont les plus
connues sont les Annales3 de Flodoard. Les enfants assurés d’avec Lietgarde sont Hugues et Eudes ;
Nous retombons dans le brouillard des incertitudes pour expliquer clairement les alliances et les
interventions de Thibaud Ier en Bretagne et au nord de la province archiépiscopale de Sens ;
Enfin, si les acquisition « champenoises » s’expliquent plus facilement grâce aux héritages
successifs d’Herbert le Vieux en 985 et surtout d’Étienne (Stéphane) de Troyes en 1021, les
prétentions thibaldiennes sur une partie de la Lotharingie (Vaucouleurs, Commercy) ne
résulteraient, à lire la littérature, que sur une simple volonté d’expansion.
Le cadre initial ainsi posé, une nouvelle étude sur la question nous semble pertinente. Encore faut-il verser
de nouveaux éléments au dossier, encore faut-il l’accompagner d’analyses et d’arguments rigoureux avant
de corriger les illustres historiens et érudits qui nous ont précédé. Pour cela nous utiliserons les méthodes
éprouvées lors de notre dernière étude sur la Bourgogne robertienne4 : ne négliger aucune source primaire
mais si elle est interpolée ou altérée par la légende ou l’hagiographie. Utiliser à bon escient les sciences
Nous avons mis dans la section bibliographique en fin d’article, les références qui nous ont servi. Elles ne se veulent pas
exhaustives en ce qui concerne les premiers comtes de Blois.
2 Nous citerons en particulier (Werner, 1980), (Werner, 1992) et (Werner, 2004).
3 Flodoard, A.
4 Bijard, 2021.
1
4
annexes : archéologie, numismatique, onomastique, philologie. Enfin ne proposer aucune hypothèse de
travail s’il demeure la moindre incohérence inexpliquée. Ce travail de levée des doutes se trouvera
largement faciliter si, à chaque étape de l’ascension thibaldienne, on est en mesure d’offrir au lecteur une
synthèse clair du cadre politique dans lequel s’expliqueront naturellement les éléments observés.
Apparition des Thibaldiens : les faits
Le 23 juin 9085, Tetbaldus vicecomes souscrit un acte pour Saint-Martin de Tours. Cet acte et d’autres qui
vont suivre montre clairement que ce Thibaud, qu’on distingue en l’appelant l’Ancien ou le Vieux6, possède,
par délégation du marquis de Neustrie, Robert Ier, une autorité vicomtale en Touraine. Rappelons que le
marquis Robert est comte de Tours, Blois, Orléans, Angers, Chartres, qu’il est abbé laïc de nombreuses
abbayes dont la prestigieuse Saint-Martin de Tours. Dans l’acte de juin 908, Thibaud est bien le
représentant de Robert dans un plaid concernant cette dernière.
À la lumière de ce seul acte, et sans connaître les origines de ce Thibaud, nous pouvons socialement
encadrer son statut. Comme vicomte il ne peut pas provenir du sommet de la pyramide de la
Reicharistokratie du début du Xe siècle. Il semble avoir acquis la confiance du marquis robertien et le
symbole que représente alors Tours – religieusement et militairement – nous empêchera de voir en lui un
homo novus. La qualité de ses ascendances sont certaines. Si nous pouvons citer Régine Le Jan7 en avançant
que son père n’est pas ou n’est plus comte (pour des raisons que nous verrons ultérieurement), on ne doit
pas exclure à ce stade que cette ascendance ait déjà exercé des responsabilités comtales ou épiscopales.
Celle-ci ne doit pas être forcément d’origine ligérienne car les élites étaient encore très mobiles à la fin du
IXe siècle dans le cadre de l’empire carolingien finissant.
Un acte plus tardif (circa 979)8 nous donnera le nom de l’épouse de Thibaud l’Ancien. Elle se nomme
Richilde. Étant donnée l’ascension fulgurante de son fils, Thibaud le Tricheur, on a prêté à Richilde, toute
sorte d’origine, plus ou moins fantaisiste. Il faut raison garder et si on peut accepter une union
hypergamique, il ne peut y avoir plus d’une « division d’écart » entre son milieu et celui de son époux
Thibaud, dans cette société très codifiée et très cloisonnée verticalement.
Autrement formulé, si la famille de Thibaud est vicomtale et qu’à ce moment elle ne peut pas ou ne peut
plus prétendre recouvrer un niveau comtal, celle de Richilde, peut au contraire à l’époque du mariage être
vecteur de légitimités comtales ou épiscopales. Mais même le milieu de Richilde ne serait pas directement
assimilable avec celui des optimates : soit la famille carolingienne élargie, soit ceux qui tiennent les grands
offices des cours impériales et royales ou les grands commandements régionaux.
Nous expliquerons bien sûr pourquoi leur fils Thibaud le Tricheur se verra qualifié par l’Historia Sancti
Florentii9 de « regia stirpe progenitum » (donc ayant une origine royale). Comme nous expliquerons le
5
Charte Artem/CMJS n°1434.
Boussard, 1962, p. 309.
7 Le Jan, 1994, p. 259.
8 Arbois de Jubainville, 1859, p. 461-462.
9 Chr. Églises Anjou, p. 241.
6
5
terme francigenatus10 (originaire de ‘Francia’) dans ce même recueil. Tout comme nous tenterons
d’expliquer en temps voulu l’expression au contraire dépréciative de Raoul Glaber « licet a patris sui proavis
obscure duxisset genus lineae. » Un bisaïeul du père d’Eudes II, donc le père de Thibaud l’Ancien ou de
Richilde, aurait jeté un voile d’obscurité sur les origines du lignage thibaldien.
Thibaud et Richilde ont deux enfants connus, Thibaud et Richard. La pauvreté des sources écrites a poussé
naturellement à exploiter l’analyse de ces anthroponymes. Le couple Richard/Richilde renvoie aux
Richardides11. Jules Depoin12, le premier qui ait exagéré l’hypergamie de l’union du vicomte de Tours, a fait
de manière hâtive de Richilde une petite-fille de l’impératrice éponyme, femme de Charles le Chauve. Sa
mère serait Rothilde, épouse du comte du Maine. Une telle reconstruction ne rentre pas dans le canevas
imposé plus haut. Ensuite, nous n’insisterons jamais assez sur le fait que Thibaud, Richilde et leurs enfants
n'ont absolument aucune interaction avec le Maine13 des Rorgonides ou des Hugonides.
Une autre piste plus intéressante est de remarquer que la Sippe Bosonide a absorbé la majeure partie de
l’héritage et de la mémoire Richardide au dernier tiers du Xe siècle (voir stemma n°1). Et qu’on y rencontre
le nom encore rare de Thibaud. Parmi les assertions de Karl Ferdinand Werner14, il en est une qui stipule
« qu’arrivé sur les bords de la Loire inférieure au début du Xe siècle, (Thibaud) serait de haute extraction
franco-bourguignonne, apparentée au bosonide Hugues d'Arles, et au père de celui-ci Thibaud d'Arles. »
Comme souvent sur ce dossier l’historien allemand nous offre des pistes qui semblent séduisantes mais
guère étayées. Celle-ci est à écarter sans remord : c’est tout un univers social et géographique qui sépare
notre Thibaud de celui qui finit par acquérir le trône d’Italie.
De Eugène de Buchère de Lépinois15 rapporte une autre tradition moins connue. « (Des) écrivains du XVIIe
siècle … pensent que Thibaud le Tricheur était fils de Richard, comte de Troyes, et de Richilde, fille de Robert
le Fort ». Ces propositions ne sont guère plus sérieuses et viendraient d’un texte manuscrit perdu de l’Église
de Bourges16 : « nepos ex sorore » serait le rapport qui lie l’archevêque Richard au roi Eudes.
Serait-ce une réminiscence d’une alliance entre Robertiens et Widonides, ces derniers englobant dans le
courant du IXe siècle comme cela va apparaitre bientôt les proto-Thibaldiens ? Cela n’est pas incompatible
avec le schéma n°1 que nous proposons plus bas. Les indices d’une alliance entre Robertiens et Widonides
sont multiples : tel l’énigmatique et éphémère fils du roi Eudes, Guy /Wido17. On notera aussi la présence
d’une autre branche de la famille de Robert le Fort à Châteaudun mais aussi à Tonnerre et Troyes, lieux où
l’on côtoie la puissance des Widonides-Lambertides. On inscrira dans notre schéma ce qui est
redoublement d’alliance entre les anciens Rupertiens et Lambertides dans la dernière partie du IXe siècle.
Le début de la proposition ne sera pas retenu non plus mais a pour mérite d’introduire le Bosonide
Garnérien Richard de Troyes et la région septentrionale de la Bourgogne.
10
Chr. Églises Anjou, p. 247.
Le Jan, 1994, p. 259, note 99.
12 Depoin, 1908, p. 25.
13 (Louise, 1990, p. 69), suivant d’autres auteurs et cherchant à identifier le moindre lien entre Maine et Thibaldiens ne trouve que
la fondation de l’abbaye d’Évron et encore cet événement est bien tardif. De nombreuses autres questions se posent sur les deux
actes de fondation qui nous sont parvenu : voir la dernière mise au point sur le sujet par (Legros, 2013, p. 1-15).
14 Werner, 1992, p. 485 - repris trop rapidement par (Sassier, 1987, p. 131).
15 Lépinois, 1854, p. 431.
16 Lesueur, 1963, p. 68-69.
17 Settipani, 1993, p. 405.
11
6
Des auteurs comme Jean-Noël Mathieu18 reprennent ce filon mais le corrigent en faisant de Thibaud
l’Ancien un fils de Garnier, donc un frère de Richard. Mais cette chronologie est trop juste puisque Thibaud
est en responsabilité – et pas n’importe laquelle – dès la première décennie du siècle, alors que Richard et
son frère avéré Thibaud de Vienne, a priori plus âgés, ne souscrivent19 pas avant 912, étant encore mineurs.
L’autre inconvénient majeur de ce schéma, c’est qu’en voulant expliquer l’arrivée de l’anthroponyme
Thibaud par ce lien, il en exclut de fait Richilde. Si on doit envisager que le legs onomastique ricardobosonide est en effet véhiculé par les Bosonides Garnériens, de deux choses l’une : soit l’anthroponyme
Thibaud provient de la mère Richilde, soit il provient du vicomte de Tours éponyme. Mais ce ne peut être
les deux.
Comme nous l’allons démontrer Richilde est très probablement une fille de Garnier. Quant à « Thibaud », il
faut se raccrocher à la rareté du nom pour frayer une nouvelle piste vers un scénario acceptable quant à sa
provenance. Mais auparavant nous devrons faire une plongée en Bourgogne du nord à la fin du IXe siècle.
18
19
Mathieu, 2007, p. 208.
« Cod. Reg. 5214 p 177 », in GC T 15 Instrumenta XVII col.
7
Les confins nord de la Bourgogne (seconde moitié du IXe siècle)
Pour le début de ce chapitre nous suivrons globalement le récit20 du chanoine Chaume complété
d’éléments lotharingiens que l’auteur n’a pas jugé assez ‘bourguignons’ pour être rapportés.
Les proto-Thibaldiens
Retenons d’abord de Chaume ses développements qui nous montrent qu’après le Traité de Verdun (843)
les grandes familles carolingiennes conservaient des intérêts des deux côtés de la nouvelle frontière qui
coupait la Bourgogne du Nord : royaume de l’Ouest et Lotharingie. Parmi elles, apparaissent les premiers
Milonides21 dont le chanoine situe les lieux de présence à Dijon, Langres et plus au nord en Bassigny et en
Bolenois. Notons qu’au VIIIe siècle les proto-Milonides22 se rencontraient à Trèves, avec les Lambertides
(dont sont issus les Widonides) et les Rupertiens (dont sont issus les Robertiens). Apparaît aussi en cette
période dans le sillage des puissants Warinides un premier Thibaud (Theotbaldum), un potentat militaire.
En 841, nous voyons ce même Thibaud23 intervenir en Bourgogne avec Warin et Adalbert (Aubert). Ils
s’opposent à Girard II de Vienne, infidèle à Charles le Chauve.
En 853, à l’assemblée de Servais, Charles le Chauve nomme divers missus pour inspecter les divers comtés
de Bourgogne rattachés dans son royaume. Il y a notamment un Milon et un second Thibaud, évêque à
Langres († 856). Ouvrons une parenthèse pour nous intéresser à ce siège épiscopal.
Jean Marilier24 a montré qu’aux générations précédentes, Langres a été influencée par le milieu clérical
bavarois. D’ailleurs des noms comme Thibaud ou Waldric se retrouvent en Bavière. Mais après la mort de
l’évêque Thibaud des luttes vont opposer différents partis pour la possession de l’évêché. Parmi ceux qui
contestent la nomination d’Isaac figure le sous-diacre Anschier. Nous savons par une charte, qu'Anschier
était fils du comte Amédée, qui avait été comte en Langrois ou en Dijonnais du temps de Louis le Pieux
(825-840). Donc dans la même zone d’activité que les proto-Milonides. Par ailleurs Amédée (Hamadeo) est
un nom germanique forgé sur les racines Amal*(Bert) et Deot*(Bald). Deotbald est homonyme de Teutbald.
Anschier, fils d’un Amédée dont l’anthroponyme se retrouve aussi en Bavière, est bien le représentant d’un
milieu qui avait tenu le siège de Langres pendant 90 ans. Côté laïc, les proto-Thibaldiens (Thietbaldus,
Thietmar, Amal*Deot) et les proto-Anscarides (Amadée, Anschier, Adalbert, Amalbert – lui-même proche
de Thibaud, miles et peut-être comte) sont sans doute une même famille implantée en Bourgogne dès la
première moitié du IXe siècle. S’ils s’allient ou s’unissent aux proto-Milonides d’origine Tréviroise (voir
schéma n°1), c’est dans un second temps et avant le milieu de ce siècle.
Introduisons maintenant la plus importante des Sippen ici pour la seconde moitié du siècle - les Widonides émanation des Lambertides (proche des proto-Milonides) et des Warinides (alliés des proto-Thibaldiens).
20
Chaume, 1925.
On pourrait dire aussi proto-Milonides pour mieux les distinguer des futurs comtes de Tonnerre.
22 Le Jan, 1994, p. 71.
23 Chaume, 1925, p. 171-172.
24 Marilier, 1985, p. 85-88.
21
8
Le chanoine Chaume25 en fait des comtes de Bar-sur-Aube, région mitoyenne au Bolenois milonide (carte
n°1). Cette idée est d’autant plus crédible que le Barrois de l’Aube reviendra au Widonides de Soissons26.
Vers 870, le comte Witbert fils de Lambert donne sa terre de Rognon à Saint-Philibert de Tournus. Chaume
rappelle que les Lambertides-Widonides ont été favorisé par le roi de la Francia Media, Lothaire II au nordest de la province de Langres. Ce fundus de Rognon27 est un domaine du fisc, donné au comte par son
oncle28 Lothaire II, mais il est au cœur de domaines proto-Milonides ou proto-Thibaldiens puis de leur
successeurs Hugonides. Les proto-Milonides ont pu en effet sentir leur influence reculée face aux
Widonides ici comme sur le siège de Langres. Mais la suite des événements semble démontrer que c’est
une alliance - et non un conflit – qui a pu rapprocher les deux familles29. C’est la seconde grande alliance
que nous identifions.
Carte n°1 (entre Champagne, Lorraine et Bourgogne - fond de carte dressé par Michel Bur).
25
Chaume, 1925, p. 183, note 2.
Settipani, 1997, p. 220-225.
27 Acte du 29 janvier 870.
28 Settipani, 1993, p. 256, note 508.
29 Les terres données à Tournus sont : Saint-Èvre et Saint-Brice (cne de Doulaincourt, villages détruits par les Suédois au XVIe siècle),
Humberville, Domrémy-en-Ornois, Montot-sur-Rognon – cf. Mathieu, 1999, p. 45, note 101).
26
9
Légende : dans le diocèse de Châlons, le Perthois se divisent en amont de Vitry en plusieurs enclaves : le Der
occupé par l’abbaye de Montierender, le Blaisois qui est une enclave du diocèse de Toul et la partie sud (le
futur ressort de Joinville) sous influence des Hugonides unis aux proto-Thibaldiens. Itou nous avons retracé
les frontières des deux pagi de l’Ornois par une approche régressive. On met en exergue aussi le Bolenois en
le séparant du Bassigny. Vignory ou Commercy ont un statut à part. La zone colorée en bleu représente les
terres fiscales du Rognon où furent favorisées les abbayes de Saint-Urbain, Tournus ou Saint-Remi.
Après la mort de Lothaire II, ses deux oncles, Charles le Chauve et Louis le Germanique en profitent pour se
partager la Lotharingie et signent un traité à Meersen en 870 pour ce faire. Le premier récupère le Bolenois
et le Bassigny. S’y ajoutent notamment le Barrois (de Bar-sur-Meuse), le Toulois et l’Ornois septentrional.
Cette partie de l’Ornois est confié à un comte Thietmar30 (on retrouve le radical Thiet*) alors que de l’autre
côté de la nouvelle frontière (voir carte n°1), l’Ornois méridional est ou a été détenu31 par un Bernard.
Il est trop tôt pour confirmer le rapprochement entre Thietmar et les premiers Thibaldiens. Dans un
premier temps, identifions ce pagus d’Ornois septentrional que ce comte domine : face au Toulois, il
contrôle toute la rive gauche de la Meuse depuis Commercy au nord jusqu’à son affluent avec la Vaise. De
là, la limite irait rejoindre l’Ornain au sud de Gondrecourt. Elle s’appuie contre le Barrois méridional puis
recouperait l’Ornain au nord de Saint-Joire incluant Évaux (abbaye) et des villae vers Denange. Enfin nous
retrouvons par le sud les abords de la commarchia (Commercy sur la carte n°1).
Nous ne savons pas ce qu’il advient après Thietmar (…865-870…). Continuons à compléter le récit du
chanoine bourguignon, en citant entre 879 et 883, dans la même région, un comte Thibaud (Thietbaldus)
qui défend le partage de 870 contre Hugues, un bâtard de Lothaire II. La chronique32 précise "Stephanus,
Ruodbertus, Wicbertus, Thietbaldus comites" se sont opposé à "Hugo filius Hlotharii" en Francia en 883.
Wicbert – qui s’identifie naturellement au fils de Lambert - puis Bernard furent tués par cet Hugues. On
notera bien les alliances de ce second comte Thibaud avec un Widonide, un Robertide et un Stéphanide.
Tous s’opposent à la politique agressive du bâtard de Lothaire II et semblent défendre les frontières
lotharingiennes établies sous Charles le Chauve. On peut le rapprocher de ce Thibaud, abbé laïc de SaintJean d’Angers cité dans un acte33 avec son épouse, du vivant de Charles II. Si cette dernière consent à la
cession d’une villa au cœur d’une zone lambertide, cela pourrait être son34 douaire. Ce serait bien ce
second laïc nommé Thibaud, le protagoniste d’une union matrimoniale avec une Widonide.
La lutte d’influence pour le siège de Langres resurgit après la mort d'Isaac le 17 juillet 880. Pour succéder à
Isaac, le parti langrois des proto-Milonides fit élire le diacre Thibaud, parent, mais on ne sait comment, du
premier évêque de ce nom. Mais cette élection aurait déplu au roi de Bourgogne-Provence Boson. Aurélien,
archevêque de Lyon, imposa le jeune abbé de Tournus, Geilon35. S’il n’est ni Milonide ni Thibaldien, il n’a de
C’est probablement le même Thietmar qui avait prêté serment à Lothaire II en 965 (Annales Bertiniani, a. 965, p. 77).
Divisio regni Hlotharii II, p. 193-195; Annales Bertiniani, p. 173.
32 Reginonis Chronicon 883, MGH SS I, p. 594.
33 Charte Artem/CMJS n°3256 et Charte Artem/CMJS n°3257.
34 Elle se nomme Hildegarde.
35 Marilier, p. 87-88, 1985. Ce que Chaume appelle le parti Milonide, Marilier le nomme le parti Bavarois. Cela ne change rien sur le
fond.
30
31
10
cesse de se rapprocher36 des Widonides. Ces derniers, contrairement aux Bivinides, cimentent
progressivement les différentes composantes du groupe familiale élargi que nous étudions.
La mort précoce de Geilon (28 juin 888) auquel devait succéder le clerc lyonnais Argrin fit renaître les
ambitions de notre second prélat Thibaud. Ce dernier était d’après Flodoard, originaire du pays de Langres,
et cousin37 de l’archevêque de Foulques Reims. La parenté de Foulques avec les célèbres Widonides venant
de Nantes, Guy et Lambert de Spolète, a déjà fait l’objet38 d’études.
C’est bien Flodoard qui vient d’apporter une autre preuve irréfutable d’une alliance matrimoniale entre
Widonides et proto-Thibaldiens qu’il faut donc situer à la génération peu après 850 (schéma n°1). De cette
union familiale semble provenir ce Guy au nom caractéristiques et très proche parent d’un second
Anschier, comte en Atuyer après 877. Ce même Guy aurait reçu en bénéfice39 des menses dans l’ancien fisc
de Longvic de son parent, l’évêque Thibaud. Notre second prélat Thibaud, rival d’Argrin, est néanmoins
définitivement en poste40 en 891.
Nous constatons que la politique de Boson du temps de son règne (879-887) marque l’entrée en lice de
nouveaux protagonistes en Bourgogne du nord – les Bosonides Bivinides.
Avant l’installation des Bivinides, il y a une dernière parentèle qu’il faut mettre en lumière.
Les Hugonides orientaux
Les Harduinides sont une famille qui trouve41 sa première apogée dans le second tiers du IXe siècle. Pour
faire simple, nous appellerons Hugonides ces descendants des Harduinides42 qui par leurs diverses alliances
avec les Rorgonides ont capté une grande partie de leur héritage :
•
•
•
Celui de l’Ouest dans le Maine et moyenne Normandie mais aussi en Poitou ;
Plus à l’Est, en Berry43, en Bourgogne franque et en remontant au nord à Saint-Amand ;
Celui des offices curiaux qui permet d’être influent à la cour des souverains carolingiens.
Les anthroponymes les plus caractéristiques seront Hugues (Hugo) et Roger.
Continuons à suivre ici en partie la thèse de François Doumerc qui fait référence sur les Rorgonides.
Un Hugo descendant du comte Hardouin est chasé en Perthois (Châlons)44 où les Harduinides furent missi
dominici45. Nous verrons plus tard cette branche Hugonide également en Bolenois. Hugo est un vassal royal
qui peut délivrer des jugements au sein de l’administration du palais. Il sera nommé comte de Bourges en
36
Abbé de Saint-Philibert, il reçoit le val de Rognon de Witbert en 870. Évêque de Langres, il organise le sacre royal de Guy de
Spolète en 888.
37 Flodoard, H, IV, 6 : « Teutbaldo Lingonensi episcopo amicabiles (...) et ipsuis Teutbaldi consanguinitate atque amiticia ipsius
episcopi regi Karolo grata »).
38 Sur les Fulco-Widonides, nous renvoyons le lecteur à Le Jan, Settipani, Werner.
39 Chr. Dijon, 118.
40 Chr. Dijon, 111 - Incarnationis Christi DCCC XCI voluebatur annus. Eo tempore defuncto Geilone Episcopo, Teudbaldus Lingonicam
regebat ecclesiam. Correctement traduit par Chaume, 1925, p. 117.
41 Doumerc, 2020, p. 336-342.
42 Doumerc, 2020, p. 338 ; Keats-Rohan, 2000, p. 60.
43 Doumerc, 2020, p. 342.
44 Doumerc, 2020, p. 338 et p. 488 (pour la dotation du monastère Saint-Urbain).
45 Doumerc, 2020, p. 337, dans les années 870, ils étaient alors opposés au Widonide Wibert.
11
888 et chef militaire chargé46 d’affaiblir la puissance Wilhelmide en Aquitaine centrale. Comme l’auteur, on
distinguera cette branche Hugonide de celle qui est en responsabilité dans les pays de la Loire. En revanche,
nous proposerons de distinguer notre Hugo de son ‘cousin’ homonyme qui tient des bénéfices dans la
province de Langres : dans le Dijonnais47 et dans le Bassigny (cf. Annexe III).
Relevons à ce stade la rapide arrivée de divers acteurs hugonides dans les régions proto-thibaldiennes.
Hugo de Bourges meurt en 892, tué de la main même du duc aquitain Guillaume II.
Hugo n’a pas d’héritier direct connu ou en âge d’hériter. L’Aquitaine est provisoirement perdue pour les
Hugonides. Quant aux honneurs de Hugo en Perthois, en Bolenois48 voire dans la province de Reims, ils sont
confiés naturellement à son neveu49 Roger qui l’avait aidé au sud de la Loire. C’est vraisemblablement lui50
qui deviendra le comte Roger Ier de Laon († 926). Notons bien que ses bénéfices51 en Perthois-Bolenois
précèdent ceux en Laonnois.
Schéma n°1 : au vu des données disponibles, nous ne proposons pas de stemma (arbre généalogique) pour
cette période, le travail serait trop incertain voire contre-productif. En revanche nous pouvons élaborer une
autre forme de schématisation qui permet d’identifier en regard d’une frise chronologique les principaux
46
Abbon, chant II, vers 562-565.
Doumerc, 2020, p. 529 et p. 533 – se reporter à notre stemma de l’annexe III.
48 Donc hors Bassigny. Cette continuité hugonide en Bolenois se verra confirmée dans les chapitres ultérieurs.
49 Abbon, chant II, vers 551-554.
50 Hypothèse déjà émise par Feuchère, 1951, p. 44-55.
51 Chaume, beaucoup suivi, imagine une union du fils de Roger avec une imaginaire héritière du Bolenois. L’autre écueil du
chanoine est de fusionner les trajectoires du Bassigny et du Bolenois.
47
12
individus étudiés et leur Sippe. Pour les couleurs nous avons : rouge = (proto-)Thibaldien, bleu = Widonide,
brun = Hugonide, vert = Robertien. Ce schéma recense les alliances possibles entre individus et familles
généralement concrétisées par une union matrimoniale. Cela se traduit dans le schéma par un trait
horizontal. Les double-traits horizontaux sont les redoublements d’alliance.
On signalera aussi que Wibert l’ancien adversaire des Harduinides-Hugonides et qui est mort en 883, perd
rapidement ses héritiers directs52. Un rameau cousin récupère Bar-sur-Aube. L’implantation circonscrite de
Wibert entre Bolenois, Perthois et Ornois peut retomber sous la domination du tronc principal des protoThibaldiens désormais fusionné avec les Hugonides.
Pour synthétiser, cette implantation Hugonide dans les espaces d’origine des premiers Milonides, ne peut
s’expliquer que par une union matrimoniale vers le troisième quart du IXe siècle entre les deux parentèles.
La prédominance des anthroponymes Hugonides issus de cette union s’explique par la dynamique sociale
qui les portent alors dans l’ensemble du royaume de l’Ouest.
Derrière l’union matrimoniale supposée avec les Hugonides, nous aurions identifié la troisième et dernière
alliance notable dans notre schéma pour le IXe siècle. Nos proto-Thibaldiens ou proto-Milonides sont ainsi
dilués dans le réseau de deux puissantes Sippen : les Hugonides et les Widonides. Ce sont surtout ces
derniers qui vont occuper le devant de la scène en 888.
L’échec de l’accès à la royauté des Widonides et ses conséquences
En 888, Guy de Spolète qui n’a pas moins d’influence, de puissance et de légitimité que le Robertien Eudes,
fait partie des prétendants pour acquérir le titre royal dans le royaume des Francs Occidentaux. Il retourne
d’Italie pour se rendre à Langres où il reçoit le soutien dans cette région de ses cousins Widonides53. Ce
dernier parviendra à se faire couronner à Langres mais n’atteindra ni Reims ni Sens. Face à lui, Robert (Ier) a
un réseau de soutiens beaucoup plus dense entre Loire et Meuse. La balance va vite pencher en faveur du
Robertien. Guy de Spolète retournera tenter sa fortune de l’autre côté des Alpes.
On remarquera l’échec des partisans de Guy de Spolète à rallier le groupe occidental des Widonides (BasseLoire) à leur cause – il est vrai que les intérêts du groupe sont étroitement mêlés à ceux Rorgonides et des
Robertiens. Ces derniers ne sont pas réellement menacés à l’Ouest. Et ils bénéficient au contraire de
nombreux appuis au nord de la Seine.
La conséquence de cette royauté éphémère, c’est l’exil en Italie des Widonides orientaux (Guy de Spolète
et les siens), d’une partie des Anscarides/Milonides (Guy d’Atuyer qui fondera le marquisat d’Ivrée) et
même de quelques Hugonides-Harduinides (les futurs Arduini). D’ailleurs le vide laissé à partir de 888 dans
la province de Langres, favorise les appétits des Bivinides et de leurs alliés Manassides. Manassès l’Ancien,
grâce au soutien du futur duc de Bourgogne Richard, va récupérer un large comitatus54 dans cette région.
52
Settipani, 1997, stemma p. 220.
Louis Halphen, Charlemagne et l'empire carolingien, Albin Michel, réédition Paris 1968, p. 402.
54 Bijard, 2021, p. 14, tout en distinguant bien ce qui lui venait du chef de sa femme.
53
13
En 894, l’évêque Thibaud II de Langres, est aveuglé par ce même Manassès, bras droit du duc Richard le
Justicier. Dernier représentant avec son cousin Foulques de Reims du parti pro-carolingien, il s’opposait au
Bivinide Richard et à son allié de circonstance Eudes Ier, le roi Robertien. Il avait refusé de reconnaître
l’élection de Walon au siège d’Autun.
Cependant cette ambition va finir par heurter le clan Robertien. À l’été 895, dans sa volonté de contrôler
les principaux sièges épiscopaux, Richard intervient sans ménagement à Sens comme à Autun ou Langres.
Le dilemme du premier Bosonide Garnérien55, le père de Richilde, qui côtoyait la large alliance Widonide,
nous montre le déchirement des membres de celle-ci qui sont restés en Bourgogne franque après 888. Un
autre Widonide, Rampo, fut même le soutien56 de Manassès, le bourreau de Thibaud II, avant de
disparaitre des sources.
À la fin du siècle, à la cour de Charles le Simple, l’influence57 de Richard se fait plus grande. En 900, le
marquis Robert, frère du précédent roi Eudes, quitte la cour58 à cause de l’insolence du comte Manassès. Il
se réfugie à Tours avec ses fidèles nous précise Richer59. La même année, le principal personnage de la gens
widonide, l’archevêque Foulques de Reims, meurt60 dans des conditions tragiques. La dernière grande
figure qui s’opposait aux robertiens en 888 disparait ainsi de la scène politique.
C’est dans ce contexte que Robert peut réactiver l’alliance historique avec les Widonides. Il peut récupérer
tous les exclus de la politique de Richard en Bourgogne. Parmi eux, on a les probables descendants du
second comte Thibaud, des parents de l’évêque de Langres énucléé, mais qui sont, plus encore, des très
proches du comte Hugo de Bourges. Parmi ses nepotes, Roger basé en Bolenois va construire sa carrière au
nord du royaume. Mais un autre rejeton resté sans honneur ni bénéfice pourra devenir le fidèle de Robert
et faire partie de la « cour » robertienne de Tours au tout début du Xe siècle. Ce serait le futur vicomte,
celui qu’on appellera Thibaud l’Ancien.
Au-delà du rôle majeur du Robertien dans l’investiture de Thibaud l’Ancien, nous devons aussi questionner
la présence des Widonides et des Hugonides dans cette région de l’Ouest du royaume.
55 Garnier de Sens : qualifié de vicomte dans la Chronique Sancti Petri Vivi Senonensis. Pour Odorannus de Sens ou pour Richer, il
fut même comte, Warnerium comitem (Odorannus, T2, p. 237). Cela peut signifier un bénéfice tenu plus au sud dans les espaces
bourguignons. Ce n’est pas la cité de Sens, encore moins celle de Troyes.
56 Trois-Fontaines, p. 748.
57 Chaume p. 387.
58 Annales Saint-Vaast d’Arras.
59 Richer, L. I, p. 37, mais qui ferait une confusion avec l’affaire du favori du roi Haganon, plus tardive.
60 Lecouteux, 2010, p. 95.
14
Dans les pays de la Loire
L’abbaye de Bonneval
Les acteurs de la Sippe Widonide qui ont préparé les événements de 888 ont aussi des intérêts dans
l’Ouest. Le cas de l’abbaye de Bonneval est caractéristique.
En 893, Foulques de Reims écrit au pape pour protéger cette abbaye que son frère Rampo61 décédé avait
restauré. L’usurpateur est le Rorgonide Ermenfroy basé en Vexin et à Amiens. Il avait épousé la veuve de
Rampo, accaparant62 la vicomté de Châteaudun et l’avouerie de l’abbaye de Bonneval.
Bonneval appartenait aux Fulco-Widonides depuis 85763 quand un premier Foulques la fonda. Rampo et
Lambert (noms typiques des Widonides-Lambertides) en sont ensuite les bienfaiteurs. La rivalité des
Widonides avec les Rorgonides dans cette région du Dunois remonte à 878 quand les fils de Gauzfred (dont
Ermenfroy et Gauzbert) tentèrent une première fois de s’y installer.
D’autres Rorgonides64, Odo et Gauzfred, organisent la défense de Chartres contre les Normands en 886. Si
on matérialise la puissance de cette branche rorgonique, elle s’appuie sur une charnière géographique
impressionnante : Amiens – Vexin nord – Évreux – Chartres et maintenant Châteaudun.
Tours et l’abbaye de Saint-Martin
Si les Widonides ont perdu de leur rayonnement dans les pays Chartrains (diocèse des Carnutes), celui-ci
persiste encore en Basse-Loire. Elle remonte à la fin65 du VIIIe siècle. Roscille, l’épouse de Foulques le Roux,
premier vicomte d’Angers au début du Xe siècle, s’y rattache. Cette union est probablement le résultat d’un
redoublement d’alliance66 au sein des Widonides de l’Ouest. Parmi les magnats locaux compris dans cette
galaxie on trouve : les Ingelgeriens (futurs vicomtes d’Angers) avec la lignée de Foulques le Roux ; des67
Fulco/ Fulc-rad/ Hard-rad, Hatto vicomtes à Tours autour de l’an 900.
Il y a aussi une autre famille qui nous intéresse, les Waldric/ Baldric68. Originaires de la cité de Langres
comme observé, on les retrouve à l’Ouest puis à Soissons. Là, outre Waldric, on y retombera sur des
anthroponymes Anscarides (Achard) mais aussi sur le nom de Thibaud, côtoyant les anthroponymes de Guy
et de Rainald qui sont clairement Widonides. C’est cette branche de Soissons qui semble récupérer le
comté de Bar-sur-Aube après l’extinction de la descendance directe de Wibert. Le Thibaud que nous venons
de citer et qui se rattache à ce groupe, diacre à Soissons, sera évêque d’Amiens avant d’être chassé de son
siège69 par les adversaires des Robertiens alliés aux Thibaldo-Herbertiens et aux Widonides de Soissons.
À ne pas confondre avec son parent, le Rampo (Ragenold) complice de l’aveuglement de l’évêque Thibaud (II).
Doumerc, 2020, p. 449.
63 Chr. Bonneval, p. 28.
64 Doumerc, 2020, p. 570.
65 Settipani, 1997, p. 213, note 14.
66 Le Jan, 1994, p. 216.
67 Werner, 2004, p. 41 et 47, le premier qui fit le rapprochement entre les Atto et les Fulco-Widonides.
68 Settipani, 1997, stemma p. 225.
69 Flodoard, H, p. 558 et 576 ; Richer, L. II, p. 195.
61
62
15
En synthèse, le schéma n°1 autorise une union entre les Waldric et les proto-Thibaldiens/ Anscarides dans
le courant du IXe siècle. Au plus tard au début du Xe siècle ils se sont alliés aux Widonides au sens large et
ont maintenu des intérêts et des relations en Basse-Loire. Pour notre propos, nous rappellerons que ce sont
aussi des parents de Thibaud l’Ancien. Mais ce n’est là qu’un des nombreux leviers Widonides qui vont
faciliter l’installation de ce dernier en Touraine, en sus de la faveur du marquis de Neustrie.
Nous connaissons une série de vicomtes qui sont intervenu en Touraine ou pour Saint-Martin de Tours :
•
•
•
•
Atto (Atton / Hatto)70 en 878 ;
Ses enfants Atto et Hardrad testent en 89871 et 89972 ;
On retiendra que pour ces dernières pièces, souscrivent également Foulques (fils d’Ingelger) - que
l’on rattache à la cité d’Angers - et un Garnegaud qu’on rattache au castrum de Blois ;
Le second Atton souscrit en septembre 90073 sans son frère mais avec les deux vicomtes précités et
un vicomte Rainald (qu’on rattache alors à l’Herbauges).
Toute cette classe de milites civil tient une autorité qui découle du comte Robert, abbé laïc de Saint-Martin.
Le plus jeune des Atto disparaît en 905 et suivant la reconstitution de Karl Ferdinand Werner74
habituellement suivie, Foulques Ier d’Angers le remplaça jusqu’en 907 où il laissa la fonction à Thibaud
l’Ancien. Foulques ayant alors la tutelle du comté de Nantes, le marquis Robert ne voulait une trop grande
concentration de pouvoir dans les mains de l’Ingelgerien. Cela est bien possible. Cependant cette multitude
de vicomtes amovibles interroge. Tous les vicomtes que l’on suppose de Tours ont-ils vraiment tenu en
main un même détroit juridique ?
En appliquant une méthode régressive par rapport à ce que l’on sait par suite des Thibaldiens et des
Ingelgeriens, on peut dresser le constat qui suit.
Les Thibaldiens ne sont jamais intervenus en qualité de vicomte dans le sud de la Touraine. On sait que
Loches est un héritage maternel pour Foulques le Roux et qu’en termes de charge public sa lignée tient au
moins la viguerie (vicarius) de ce ressort. Nous pensons qu’il faut aller plus loin dans l’analyse et afficher
que les Ingelgeriens ont conserver l’équivalent d’un vicecomitatus au sud de la Touraine, préciser que celuici procède aussi du comitatus Robertien mais sans aucune médiation des nouveaux vicomtes Thibaldiens.
En conséquence Thibaud l’Ancien ne gèrera pas la Touraine méridionale, ni même le vieil oppidum
d’Amboise au statut plus complexe (voir carte n°2). Dans la métropole bipolaire de Tours et dans ses
environs, nous le voyons intervenir plus précisément dans :
•
•
•
La cité mais uniquement dans le quartier nord, accosté au rempart, siège des pouvoirs civils ;
Le Châteauneuf de Tours, c’est-à-dire au sein du site de la prestigieuse abbaye de Saint-Martin et
de son burgus récemment munis d’une enceinte pour se protéger des Vikings. Thibaud l’Ancien est
ici le représentant de l’abbé laïc Robertien ;
Le vieil oppidum de Chinon et sa viguerie ; l’Église de Tours y est largement possessionnée mais
dans la vallée. La ville haute est un ressort laïc75 ;
Mabille ‘Les invasions normandes...’, Bibliothèque de l’École des Chartes, Tome XXX (1869), Pièces Justificatives, V, p. 431.
Mabille (1871), Pièces justificatives, II, p. xcii.
72 Mabille ‘Les invasions normandes…’, Bibliothèque de l’École des Chartes, Tome XXX (1869), Pièces Justificatives, VIII, p. 440.
73 Mabille ‘Les invasions normandes...’, Bibliothèque de l’École des Chartes, Tome XXX (1869), Pièces Justificatives, IX, p. 442.
74 Werner, 2004, p. 47 et sq.
75 Chinon n’est pas que du ressort de l’évêque, lire par exemple (Terrien, 2021) pour y appréhender le partage des droits.
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•
•
Les vigueries de la rive droite comme Langeais ou une partie de Saunay (qui donnera ChâteauRenault) ;
Viendront rapidement la tuito laïc des abbayes de Marmoutier et des terres de Saint-Florent en
aval de Tours (le futur Saumurois). Ces dernières sont dans le pagus d’Angers (carte n°2).
Ce choix pourrait être motivé par une volonté de regrouper la délégation d’avouerie laïque des abbayes
robertiennes76 de la vallée de la Loire dans une même paire de mains et aussi de compenser l’absence de
contrôle pour le Thibaldien de Loches et d’Amboise mais aussi du monastère de Cormery77.
Nous reviendrons sur le cas particulier des terres de Saint-Florent.
Nous verrons aussi plus loin que les Ingelgeriens conservent une place dans le dispositif san-martinien.
Le mariage de Thibaud l’Ancien
Reprenons l’hypothèse Bosonide Garnérienne pour Richilde, l’épouse attestée du vicomte Thibaud de
Tours. Nous connaissons sa fratrie (stemma n°1).
Stemma n°1 : les Bosonides, émanation cognatique des Richardides, se décomposent en trois branches
principales78. La moins connue, celle des Bosonides Garnériens, joue pourtant un rôle capital dans les
espaces bourguignons, depuis le nord de la province de Sens jusqu’au royaume d’Arles.
Saint-Florent semble être Robertienne avant 866 puisque le Welf Hugues l’Abbé, qui gèrent honneurs de Robert le Fort jusqu’à sa
mort intervient en sa faveur – C. St-Florent, acte n°2.
77 Cormery et l’abbaye associée de Villeloin sont très attachées aux ascendants des Ingelgeriens (voir Boussard, 1962, p. 308).
78 Bouchard, 2001, p. 74 et sq.
76
17
C'est en 91279 que Hugues (futur comte en Viennois) et Richard (futur comte de Troyes) apparaissent dans
les sources : à la fin d'une donation de Hugues d’Arles à l’Église de Vienne, où signent, en qualité de
témoins, ses neveux Hugues, Richard et un autre Garnier.
Cette année de 912 montre que les enfants de Garnier de Sens sont majeurs. Leur sœur putative est en âge
de se marier autour de 910. Thibaud l’Ancien est alors installé à Tours. Leurs enfants, Thibaud et Richard,
nés probablement avant le milieu des années 910, seront ainsi majeurs suivant les règles de l’époque avant
l’an 930.
L’axe de pénétration robertien en Bourgogne80 avec la reine Emma, sœur de Hugues le Grand, épouse du
roi bivinide Raoul, était : Château-Thierry – Provins – Sens – Auxerre - Avallon et Mont-Saint-Jean. Flodoard
relate les conflits en Bourgogne septentrionale avec les Manassides et leurs alliés conjoncturels que furent
les Bosonides Garnériens. Avallon81 avec les premiers, la région de Sens avec les seconds. Pour 932, les
Annales précisent82 : « le roi Raoul/ Rodolphe lors d’un retour en Bourgogne, prit plusieurs châteaux du
[Manasside] Gislebert et du [Bosonide Garnérien] Richard, qui avaient quitté sa cause ».
Troyes venant de son épouse Adalo-Robertides83 quelles sont les grands sites fortifiés de Richard qui
pouvait gêner la politique du roi et de sa belle-famille ? Hormis certains droits dans la cité de Sens, les
bénéfices vicomtaux qu’il a récupérés de son père Garnier peuvent vraisemblablement être localisés dans
les pagi du nord de la province Sénonaise qui gênent la progression robertienne.
On sait que le Provinois est parvenu de manière mal expliquée dans le giron des vicomtes de Tours et des
comtes de Blois ainsi qu’une partie du Morvois84 (voir carte n°5) - et que ces bénéfices auront toutes les
caractéristiques de terres douairières85. En ce qui concerne le pays de Melun, toujours au nord de la
province de Sens, Richer rapporte86 qu’en 991 Eudes Ier de Blois revendiquait cette place parce qu’elle avait
appartenu à son grand-père : cum illud jam ab avo possessum sit. Le terme latin avus signifie grand-père
paternel et renvoie clairement au vicomte Thibaud l’Ancien (…907- †940).
Reconstituons un scénario plausible : comme Gislebert de Bourgogne, Richard de Troyes a perdu de façon
définitive une partie de ses places fortes. Après 932, le roi Raoul et la reine robertienne Emma transfèrent
le Provinois et le Melunais perdus par Richard au beau-frère Thibaud de celui-ci, du chef de son épouse
Richilde. Thibaud est le fidèle vassal des Robertiens mais nous verrons qu’il acquit de même autour 92587 la
confiance du roi Raoul. Les clan Robertien – Hugues et Emma – ont pu demander que Melun lui soit confié
mais à titre viager, car se situant en deçà de leur ligne d’hégémonie. À la mort de Thibaud l’Ancien, il sera
bien sous suzeraineté du marquis de Neustrie qui pourra l’inféoder à un membre d’une des grandes
parentèles du nord de Sens (Thibaldiens, Bosonides, Aubry-Gautier …). Dans les faits en 940, le fils de
Thibaud gardera Provins mais ne récupérera pas Melun88.
Nous égrènerons dans la suite de l’article d’autres preuves rattachant le nord de Sens à Richilde.
79
« Cod. Reg. 5214 p 177 », in GC T 15 Instrumenta XVI col. Voir aussi l’annexe IV sur Garnier de Sens.
Bijard, 2021, p. 21-22.
81 Flodoard, A, 931.
82 Flodoard, A, 932.
83 Bijard, 2021, p. 27.
84 Arbois de Jubainville, 1859, n°28, p. 461-462.
85 Après Richilde, le fait est confirmé pour la comtesse Lietgarde par un acte qu’on rappellera plus bas. Pour la comtesse Berthe,
c’est le poème Rhythmus Satiricus qui nous le précise.
86 Richer, L. IV, p. 454.
87 Le Chroniqueur Richard le Poitevin lie l’acquisition de la puissance thibaldienne au règne du roi Raoul.
88 Le Robertien installera dans la cité de Sens une nouvelle lignée vicomtale, les Fromonides (cf. Annexe IV pour leur légitimité).
80
18
Bilan prosopographique
Même fraîchement installé à Tours, Thibaud l’Ancien reste lié aux activités politiques de la Bourgogne
Franque. Et s’il n’a plus lui-même de charge publique dans ce regnum, il y conserve des intérêts et un
réseau important – ses parents Hugonides restent possessionnées entre Perthois et Bolenois et Ornois.
Voire d’autres affins un peu moins proches : cousins Hugonides du Bassigny ou branches Milonides qui se
maintiennent en d’autres lieux de la province de Langres.
Des grandes familles impliquées dans les événements de 888, seules les Bosonides Garnériens n’ont pas
encore, autant que l’on sache, noué d’alliances avec les proto-Thibaldiens étudiés ici. L’union de Richilde et
Thibaud matérialise ce rapprochement à un moment où le dernier occupe à nouveau une place en vue
grâce à son hommage et à sa proximité avec le Robertien. Ce mariage de nature hypergamique modérée
conforte le rebond social du Thibaldien, en adéquation avec son ascendance. Par sa belle-famille il retrouve
un milieu comtal actif en Bourgogne du Nord comme au sein du royaume de Bourgogne. L’ascendance
cognatique de celle-ci permet de remonter au roi Lothaire II (stemma n°1).
Pour les Garnériens l’intérêt est aussi consolider une alliance avec une Sippe qui a encore un réseau bien
ancré en Bourgogne et au-delà avec les Robertiens même si cela ne préviendra pas la crise de 932.
Il n’y a pas d’intérêts Garnériens sur la Loire sinon pour rappeler que le bisaïeul de Richilde, le duc Hucbert,
a été abbé laïc de Saint-Martin de Tours89 (862-864). Les liens que nouera Richilde avec la prestigieuse
abbaye paraissent90 d’ailleurs assez forts.
Le choix des noms des enfants du couple s’éclaire mieux une fois le contexte rappelé. Le cadet à un nom
purement Ricardo-Bosonide. Mais quel nom donner à l’aîné ?
C’est encore l’usage dans l’aristocratie carolingienne aux IXe-Xe siècles de prendre le nom d’un aïeul de
référence. Thibaud l’Ancien a de façon plausible prit celui du second comte Thibaud. Cependant le nom de
son père est inconnu. Il serait à rechercher dans le stock onomastique proto-Milonide, Widonide ou mieux
Hugonide. Reprendre le nom de Thibaud pour son fils est plausible. Si c’est devenu un nom de clergie pour
la branche cousine des évêques de Langres, la mémoire du comte et abbé laïc Thibaud reste présente.
D’un autre côté, le fils aîné est voué à récupérer les bénéfices nouvellement acquis par son père sur la
Loire. Un nom qui renverrait trop aux confins de la Bourgogne et de la Lotharingie ne serait pas pertinent.
Le nom de Theotbald (Thibaud) du père peut donc être choisi. Surtout s’il porte une seconde signification :
Theot-bald comme Theot-berga sont aussi des noms présents chez les Bosonides Garnériens (stemma n°1).
Le grand-père de Richilde est un Thibaud qui termina sa vie publique en 880 invalide.
Dès lors la fortune de l’anthroponyme « Thibaud » est faite.
Une chronique de Saint-Florent de Saumur91 relate « … Theobaudum Blesis comitem, regia stirpe
progenitum, … ». Cette œuvre est favorable à Thibaud le Tricheur, refondateur de l’abbaye de SaintFlorent. Même si le propos est emphatique il se fonde sur un fait réel – ce sont les ascendances
cognatiques de Richilde qui permettent de remonter au roi carolingien Lothaire II. Dans cette même
89 Annales Bertiniani, 862 : Abbatiam quoque sancti Martini, quam inconsulte praescripto filio suo Hludowico donaverat, non satis
consulte Hucberto, clerico conjugato, donavit.
90 Arbois de Jubainville, 1859, p. 461-462.
91 Chr. Église d’Anjou, p. 241.
19
ascendance (stemma n°1), on retrouve Hugues d’Arles qui fut un temps roi d’Italie et Thibaud d’Arles. Ce
sont les personnages cités par K. F. Werner mais improprement rattachés au vicomte Thibaud l’Ancien.
Un poème compilé dans le même chronique92 saumuroise mais écrit après la perte de l’abbaye par les
Thibaldiens nous dit : « Ut fuit eruptus Theobaldus francigenatus » soit Thibaud né Franc ou plutôt
originaire du pays franc. Le terme de Francia est polysémique, son sens dépendra de l’époque ou du lieu
d’origine de l’auteur. Terres de l’imperium carolingien pour ceux qui en sont étrangers ; régions du nord de
la Seine pour un Aquitain - Neustrie incluse. Dans le cas présent, pour une production écrite ligérienne, le
terme signifiera la terre d’origine des Carolingiens / Pippinides et de leurs proches : autour de Laon et
Reims si on reste dans le royaume occidental ; mais ici il faut élargir le cadre pour atteindre vers le nord
Liège et Aix, et vers l’est le Rhin. Trèves est au milieu de cette géographie comme une bonne partie de la
Lotharingie. C’est bien la terre d’origine des proto-Milonides. Leurs alliances avec les Widonides, Hugonides
et Bosonides renforcent ce caractère lotharingien originel. Ceci est parfaitement cohérent avec ce qui nous
avons étudié auparavant. Cela écarte les scénarios qui font des Thibaldiens essentiellement des
Bourguignons ou des Neustriens.
Effectuons un bond en avant pour citer Raoul Glaber. Signalons en préalable que le moine bourguignon ne
porte pas dans son cœur les Thibaldiens. Parlant de Berthe de Bourgogne, mère du comte Eudes II de Blois,
il rappelle son illustre naissance - elle est la fille du roi Conrad III de Bourgogne (ajoutons qu’elle descend
aussi des Carolingiens et des Ottoniens). Raoul Glaber93 souligne le contraste entre cette noble origine et
celle des bisaïeux du père d’Eude II : « licet a patris sui proavis duxisset obscurae genus lineae », qui aurait
conduit à en obscurcir la lignée. Mais Raoul Glaber ne précise ni qui et ni comment (naissance, mariage…).
Un des bisaïeux est le géniteur de Thibaud l’Ancien. Soit ce dernier est un neveu de Hugo de Bourges et on
ne peut en dire plus, soit c’est son fils94 issu d’une mésalliance. Sans être explicite dans la globalité de son
propos, Raoul Glaber utilise pourtant des termes très précis comme ‘bisaïeul’ au pluriel. Le père de Richilde
peut être aussi pris en compte et l’on sait que Theutberge de sang carolingien a contracté une union
hypoandrique avec Garnier de Sens dont le rang oscille entre vicomte et comte. Dans cette dernière
optique Raoul Glaber inverse entièrement la perspective qu’avait proposée l’Histoire de Saint-Florent.
Quoi qu’il en soit le chroniqueur bourguignon ergote quelque part. Il ne dit pas contrairement à de
mauvaises traductions95 que l’origine même des Thibaldiens est obscure. Il fait d’autre part fi –
délibérément – des différentes unions hypergamiques depuis Thibaud l’Ancien jusqu’à Thibaud le Tricheur
qui rendent l’union du fils de ce dernier, Eudes Ier, avec Berthe tout à fait acceptable. Raoul Glaber, dans un
autre chapitre96 reconnait que les Thibaldiens, issus de la classe des mediocri et favorisés par Hugues le
Grand, ont eu accès aux plus grands honneurs. Les mediocri n’ont rien d’obscures, au sein de l’élite ils sont
au-dessus des minores mais en-dessous des optimates. Le moine bourguignon reproche aux Robertiens
d’avoir concéder des honneurs et bénéfices dignes des optimates à la descendance de Thibaud l’Ancien.
Chr. Église d’Anjou, p. 247.
Glaber, H, L. III, c. 9, p. 86 : Erat enim isdem Odo natus ex filia Chuonradi regis Austrasiorum Berta nomine, licet a patris sui
proavis obscurae duxisset genus lineae.
94 Thibaud l’Ancien est sans doute né circa 990 donc avant la mort de Hugo (892).
95 Par exemple dans Lesueur, 1963, p. 63.
96 Glaber, H, L. III, c. 2.
92
93
20
L’ascension du vicomte de Tours
Bien avant l’an 932, année où Thibaud l’Ancien et Richilde administreront les bénéfices dont fut dépossédé
Richard de Troyes, une série d’événements capitaux va modifier radicalement la position du Thibaldien au
sein des régions de la Loire.
La vicomté de Blois
Pour essayer de cerner la trajectoire de Blois, il faut éviter deux écueils. Le premier est d’associer celle-ci à
Chartres. Le cas chartrain, bien plus complexe, sera analysé ultérieurement. Le second est de mêler la
transmission de la vicomté de Blois à la promotion des Thibaldiens au statut de comte. Rien ne permet
d’intriquer ces différents dossiers.
Relisons la synthèse de Jacques Bousard97 à ce sujet. Un personnage nommé Garnegaud est clairement
attesté comme vicomte de Blois dans différents actes de 886 à 906. Sa femme Hélène est à plusieurs
reprises citée. Aucun enfant du couple n’est jamais cité.
L’auteur écarte à juste titre un folio98 du manuscrit latin n°12878 qui daterait la dernière apparition de
Garnegaud en 937. En fait l’acte dans ce folio, comme le suivant99 que nous croiserons plus tard, a été
authentifié par Louis IV postérieurement. Les causes qui ont amené à retarder la souscription royale de ces
deux actes sont mal connues. Ce serait éventuellement une des périodes de crise entre le marquis Robert,
abbé laïc de Marmoutier, et le roi Carolingien : nous sommes alors au plus tard au début des années 920.
Le prochain diplôme100 qui concerne la vicomté de Blois est daté de 924. Celui-ci, qui a fait l’objet d’une
grossière interpolation, est souvent rejeté en bloc, mais nous pensons que c’est à tort. L’acte royal de Raoul
établi à Laon confirme l’installation des moines de Saint-Lomer dans le quartier de Foix à Blois (Foix dérive
de fiscus). En effet, l’autorisation du marquis de Neustrie, désormais Hugues le Grand, ne suffit pas pour ce
transfert de terres publiques à une abbaye sous protection royale. Cette demande viendrait de Thibaud
(l’Ancien) qui n’est pas qualifié de vicomte mais de comte palatin « inclytus comes palatii ». En faisant
abstraction de ce dernier passage interpolé, le reste de l’acte n’offre pas d’incohérences majeures.
En résumé, au plus tard peu après 920, Thibaud l’Ancien aurait obtenu le vicecomitatus de Blois en plus de
celui de Tours. Garnegaud et Hélène ne semblaient pas avoir eu d’héritiers. Par ailleurs, ce type de bénéfice
restait encore très amovible dans la première partie du Xe siècle.
Cela étant posé, deux questions demeurent :
• Quel sens politique peut-on donner à cet accroissement de responsabilité ? La simple fidélité de
Thibaud envers les Robertiens n’explique pas tout.
• Pourquoi, du temps des descendants de Thibaud l’Ancien, a-t-on pu grossièrement interpoler l’acte
pour Saint-Lomer de Blois ? Autrement formulée, la question ici est de savoir sur quel fond de
vérité s’appuie cette forgerie ou encore quels étaient les liens entre Thibaud et le roi Raoul ?
Le roi Raoul et les marges de l’Aquitaine
Tout d’abord rappelons une série d’événements qui ont eu lieu dans la fourchette des années 889-893.
Hugo, déjà comte en Perthois et au nord de la Bourgogne, s’était vu confié par le nouveau roi robertien
97
Boussard, 1962, p. 309, note 54.
Bibl. Nat., ms. lat. 12878, fol. 42.
99 Bibl. Nat., ms. lat. 12878, fol. 43.
100 RHGF, p. 233.
98
21
Eudes le comté de Bourges101 puis une responsabilité de chef militaire dans la reconquête de l’Aquitaine
Wilhelmide. Il est assisté de son neveu Roger (le futur comte de Laon) et du miles Étienne.
Guillaume le Pieux est le grand gagnant de cette guerre face aux Robertiens à Poitiers et aux Hugonides au
sud de Bourges. Capturé lors d’une campagne Hugo aurait été exécuté102 par Guillaume.
Près de trois décennies plus tard, le roi bivinide Raoul et son allié et beau-frère, le robertien Hugues le
Grand, entreprennent à leur tour une politique hostile à l’Aquitaine wilhelmide.
L’originalité de l’action royale dans les années 920 repose sur la constitution de juridictions aux marges de
l’Aquitaine qui forment un chapelet de glacis protecteurs. Nous avons eu l’opportunité d’étudier
l’émergence du « comté-tampon » de Nevers103. Il sort du cadre de la présente étude d’analyser ces
phénomènes ailleurs avec essentiellement la « principauté » de Déols, puis la nouvelle Marche (devenue
région historique) qui s’enfonce comme un coin entre Berry, Poitou et Limousin.
Pour le Berry, le travail de Guy Devailly nous montre que la dislocation du pagus à l’œuvre depuis 892 se
trouve reconnue formellement autour de 924104. La cité de Bourges restait sous le contrôle des rois, Robert
Ier suivi par le bivinide Raoul. Mais comme le montre l’auteur, la partie au nord de la cité n’est déjà plus
sous influence aquitaine : Saint-Aignan, Vierzon, les Aix-d’Angillon et la Chapelle, Vesvre (cf. Carte n°2). Et
l’auteur de corréler ce constat avec l’arrivée de Thibaud (l’Ancien) à Vierzon comme le montre un acte105 de
926 qui n’est pas entièrement authentique mais que l’auteur, suivi par d’autres, ne rejette pas.
Le reste du grand pagus berruyer peut rester sous suzeraineté aquitaine s’il ne porte pas préjudice au roi.
C’est particulièrement le cas du Bas-Berry où nait la principauté des Déols. Ce principe peut s’étendre aux
secteurs au sud et à l’est de Bourges. Le cas de Sancerre ou Château-Gordon qui se serait montré trop proaquitain par la suite méritera d’être étudié spécifiquement dans un paragraphe ultérieur.
Revenons à notre unique source concernant la présence thibaldienne à l’époque : un acte106 du cartulaire
de Vierzon daté de 926 raconte qu’alors des chanoines de Saint-Étienne de Bourges, qui « sûrs à l'avance de
l'amitié du comte (sic) Thibaud », avaient établi dans le castellum de Vierzon les moines de Dèvres puis se
portèrent auprès de Thibaud pour lui demander de ratifier cette installation. La référence à Chartres est
aussi une interpolation. Il faut faire la part des choses pour isoler dans le texte les éléments d’origine107.
Dans ce qui retiendra notre attention, est le fait que ce document traduit une double protection qui affecte
cette région : l’Église de Bourges (ce sont108 les chanoines qui sont cités avant même les moines) rend
compte à la puissance laïque thibaldienne qui elle-même tient du roi.
Les différents milites de ces lieux apparaissent par la suite comme inclus dans une double mission : l’Église
de Bourges d’abord, et au-delà dans un cadre plus large et exceptionnel, la protection du royaume.
Vierzon et Desvres sont des terres abbatiales : ici le Thibaldien défend les intérêts du monastère ; mais
cette militia épiscopale ou abbatiale est sans doute mobilisable au même titre que celles des autres sites
cités dans cette construction militaire royale.
Ajoutons, à proximité la présence des abbayes de Massy et de Graçay et les terres des Vatan en partie
perdues au début du XIe siècle (carte n°2).
Dans les confins du massif forestier de Sologne, nous trouvons à la tête de ces lieux à vocation défensive
des Imbault/ Humbald ; Gimon/ Gilon. L’interprétation habituelle suggérée par Devailly est d’en faire des
L’histoire du pagus de Bourges n’est pas des plus simples à restituer (Devailly, 1973, p. 109, 118). Quant à la légitimité de Hugo à
Bourges, elle s’appuierait sur son origine Harduinide (voir Doumerc, 2020, p. 341-342) via la famille de Warimburge.
102 Abbon, v. 558-561.
103 Bijard, 2021, p. 47 et p. 93-94.
104 Devailly, 1973, p. 120-123.
105 Devailly, 1973, p. 129-130.
106 C. Vierzon, 18.
107 Devailly, 1973, p. 130.
108 Traduction dans Lesueur, 1963, p. 76.
101
22
représentants de la moyenne aristocratie neustrienne109, déplacés ici par les Thibaldiens. Toutefois cette
analyse doit être nuancée :
• Au moment où les Thibaldiens s’implantent dans le nord du Berry ils ne contrôlent pas encore les
régions de Chartres et de Châteaudun ;
• Un acte de l’archevêque Richard (955-59), fils de Thibaud l’Ancien, nous le montre intervenir pour
l’église Saint-Étienne et Saint-Ludre de Déols qui est vendue aux moines de l'abbaye de Déols par
deux particuliers : Gimon et Imbault ;
• Les anthroponymes Gimon et Imbault sont assez rares pour ne pas les rapprocher de la caste civile
vassale de Thibaud en Berry septentrional ;
• L’importance de la transaction concernant Saint-Étienne et Saint-Ludre nous fait deviner un rang
social relativement élevé des cédants ;
• Cette transaction induit aussi le fait que Gimon et Imbault sont des proches ;
• L’acte fait intervenir l’archevêque Richard dans le Bas Berry – ce qui est notable car nous sommes
au cœur de la « principauté » de Déols – nos deux protagonistes et le Thibaldien y agissent de
concert, ils participent d’un même réseau ;
• Elle nous montre surtout un enracinement préalable des deux laïcs dans l’ensemble du pays de
Bourges, quelle que fut leur expansion au nord la Loire ensuite.
Nous resterons donc prudents sur l’origine géographique de cette parentèle et sur la chronologie
d’acquisition de leurs biens en Berry comme en Dunois. Par ailleurs l’acte rappelé ci-dessus peut traduire
leur politique de désengagement dans le Bas-Berry pour rationaliser leur présence dans le nord-ouest de
cette province. Et c’est un mouvement inverse qu’opèrent les seigneurs de Déols qui finissent par perdre le
contrôle archiépiscopal de Bourges110 au profit des thibaldiens.
Un récit légendaire chez Richer
Sur la période qui précède le début des Annales de Flodoard (début du Xe siècle) dont il s’inspire largement,
le chroniqueur Richer de Reims doit puiser à d’autres sources d’information111. Cet auteur nous offre un
curieux « conte » sur les évènements aquitains qui serait à situer entre le courant des années 880 et avant
893, date du Sacre de Charles le Simple à Reims, événement historique qui suit le conte chez Richer.
Ketill, un redoutable chef Viking, qui a envahi la Gaule est battu. Il est contraint de demander la paix et de
se convertir au christianisme. Lors de cette rude bataille près de Montpensier112, tous les hommes nobles
de l’armée d’Eudes étant sérieusement blessés, l'enseigne du roi est confiée à Ingon, « maréchal ou
écuyer113 » du prince neustrien. Ketill est ensuite conduit à Limoges pour recevoir le baptême : alors qu'il
est en train de se faire baptiser dans la basilique de la cité, il est assassiné par Ingon, devenu porteétendard du roi Eudes.
Ingon est jugé pour cet acte et risque la peine capitale. Mais il sera finalement pardonné après un long
plaidoyer. Plus, son retour en grâce sera concrétisé par l’obtention du château de Blois dont le gouverneur
était mort pendant la guerre. Gerlon, le fils d’Ingon, succèdera à son père à Blois.
Citons l’extrait qui nous intéresse :
109
Devailly, 1973, p. 133.
Devailly, 1973, p. 132.
111 Richer, Liv. I, p. 19-29.
112 Puy-de-Dôme, Auvergne.
113 Ces traductions même si elles revêtent un côté anachronique sont préférables à celle de palefrenier qui comme on le rappelle
infra traduit maladroitement la condition sociale de cet Ingon. Intéressante analyse dans Depoin, 1908, p. 44.
110
23
" Ego ex mediocribus114 regis agaso [maréchal ou écuyer royal], si majorum honori non derogatur, signum
regium per hostium acies efferam …"
Rappelons que « médiocre » n’a pas la connotation péjorative d’aujourd’hui. C’est la classe de l’aristocratie
moyenne, située entre les optimates et les minores.
Dominique Barthélémy115 rappelle que l’exploit d’un premier ancêtre fait partie des légendes familiales de
familles nobles, qu’il s’agisse d’insister sur son autochtonie ou sur son mérite propre, plutôt que sur ses
origines. Un cran va être franchi dans l’ascension sociale d’Ingon, le porte-enseigne valeureux de Richer,
pour qui il est ex mediocribus et pour le Robertien, dit autrement, il est ex equestri ordine.
Mais au topos des légendes familiales et des Chansons de Geste s’est hélas greffé un lieu-commun du
romantisme historique surenchérissant sur les origines obscures du héros. Richer vit dans une société très
cloisonné socialement. Toute digression à l’ordre établi est inconcevable. Ingon était un vir nobilis mais
sans doute guère le mieux placé pour accéder à une responsabilité d’officier royal.
En résumé, le récit de Richer a les caractéristiques d’un embryon de Chanson – qui sera repris dans
certaines gestes116. Ce n’est pas dans l’habitude du chroniqueur. Il n’a pas seulement voulu combler un vide
dans les annales, il a choisi un récit qui caractérise à ses yeux ces années qui précèdent l’arrivée de Charles
le Simple. L’analyse des faits historiques qui s’y dissimulent devient toutefois ardue.
Nous mettrons de côté l’analyse de l’habituelle superposition117 d’éléments païens ou vikings.
Nous nous attarderons en revanche sur la correspondance très précise avec les événements décrits plus
haut en 889-893. Si Ingon, personnage chimérique, n’est pas tout à fait Hugo de Bourges, certaines
analogies sont troublantes au-delà de l’assonance des deux anthroponymes118.
Historiquement, la seule campagne d’Eudes en Aquitaine pour cette période est portée contre Guillaume le
Pieux. Le meurtre violent de Hugo par la main du Wilhelmide est le reflet de celui de Ketill par Ingon dans
une forme de renversement des rôles.
Si le rang social du Hugonide nous est mieux connu, sa prétention en Aquitaine est plus fragile. C’est un
mediocrus soutenu par le roi qui a voulu tutoyer un optimas, Guillaume le Pieux. La métaphore de
l’accession d’Ingon à l’office de porte-étendard pourrait être un écho à cette promotion.
La mort de Hugo trouve une justification morale dans ce défi à l’ordre social établi. Elle est remplacée dans
la légende par un meurtre plus consensuel : celui du païen Ketill dont la conversion ne parait pas sincère.
Il faut être prudent pareillement sur ce qui a trait à Blois dans ce « conte ». Pour Richer, Ingon n’est pas à
l’origine de la maison de Blois. Il n’aurait pas manqué de le signaler. De même, le lieu comme l’époque ne
concerne pas Hugo de Bourges. Le fils d’Ingon, nommé dans le passage légendaire, Gerlon, va acquérir
ensuite par la faveur royale le château de Blois qui a perdu son maître. On fera là un dernier
rapprochement avec l’accession de Thibaud l’Ancien à la vicomté de Blois et en rappelant sa très proche
parenté119 avec Hugo de Bourges d’après notre corps d’hypothèses.
Flodoard utilise aussi le terme mediocribus en parlant d’Haganon. Les Haganonides sont une famille noble mais son rang social
est incongru pour pouvoir donner un conseiller à la tête de la hiérarchie aulique chez le roi Charles le Simple. Voir supra
l’introduction de ce terme pour les Thibaldiens.
115 Barthélémy, 1998, p. 159-175.
116 Lot, 1903 : Ugon/ Hugon du Berry apparaît dans le Orson de Beauvais mais aussi dans certaines versions du Girart de Roussillon.
117 Voir infra la légende de Chartres et du viking Hasting.
118 Un Ingon est abbé de Massay au tout début du XIe siècle. C’est un proche du roi Robert Ier. Cette abbaye de Massay représente
les confins de la mainmise du Capétien au sein du Berry.
119 Il pourrait être un fils de Hugo issu d’une union hypogamique d’après la discussion supra interprétant un passage de Raoul
Glaber. Le texte de Richer pourrait confirmer cette piste sans constituer une preuve définitive.
114
24
Bilan de la première construction thibaldienne
Les paragraphes précédents révèlent un certain nombre de corrélations remarquables :
• Liens entre une implantation à Blois et une implantation en Berry ;
• Contexte militaire face aux troubles endémiques (Normands de la Loire, Aquitains) ;
• Intervention royale – qui va donc au-delà du marquisat de Neustrie – d’abord le roi Eudes à la fin du
IXe siècle, puis après 922, avec le roi Bivinide Raoul.
La cohabitation entre le robertien Hugues le Grand et son beau-frère, le roi Raoul, a donné lieu a plus de
points de convergences que de divergences. La politique aquitaine rentre dans la première catégorie.
Par ailleurs, à la suite de son « rebond » politique et de son mariage avec Richilde, Thibaud l’Ancien,
redevient un personnage qui compte au-delà de la Loire robertienne. Si le vicomte est uni avec une
Bosonide Garnérienne, il rejoint toute la « phylade120 » Bosonide (stemma n°1), qui est alors au premier
plan dans l’Europe occidentale autour de 925. La branche Bivinide qui vient d’accéder à la royauté avec
Raoul doit assoir sa position notamment au sud de la Loire.
Au même moment la branche Hubertienne avec Hugues d’Arles commence la conquête du trône d’Italie.
Quant aux frères putatifs de Richilde de Tours : Richard est devenu comte à Troyes en plus de ses
responsabilités vicomtales au nord de Sens ; Hugues de Vienne est le protégé de son oncle Hugues d’Arles
tout en acquérant un rôle de comes palatii à la cour du roi Welf Rodolphe II de Bourgogne.
Dans le nord du royaume, outre Hugues le Grand, le roi Raoul peut alors compter sur Roger, pour contrôler
la région de Laon. Cet Hugonide oriental, proche parent de Thibaud l’Ancien d’après notre schéma, et
possessionné en Bolenois/ Ornois/ Perthois, est devenu comte de Laon grâce à son union avec Helvise121,
veuve du précédent comte, éliminé par le roi Eudes. En 923122, c’est le roi Raoul qui vint au secours de ce
Roger Ier. Comme Thibaud l’Ancien, Roger peut trouver le soutien des Robertiens ou du Bivinide.
Néanmoins par son mariage et sa proximité avec le siège du pouvoir carolingien, Roger Ier annonce déjà son
fils Roger II dans ses nouvelles alliances. À la veille de sa mort († 926) le neveu de Hugo de Bourges qui
l’aida dans sa campagne aquitaine ne semble pas le mieux123 positionner pour agir en Berry.
Dans le contexte du royaume des années 923-925 rien n’interdit une double promotion du Thibaldien.
D’abord, par le Robertien avec le nouvel honor détenu à Blois. Après par le roi, avec cette marche au nord
du Berry que tint son parent Hugo. Ce qui suggère aussi cette concomitance c’est le nouvel ensemble
cohérent que dessinent les lieux de pouvoir de Thibaldien (voir carte n°2 et commentaire).
120
Nous empruntons ce terme à Bouchard, 2001, p. 75.
Settipani, 1993, p. 312, note 819.
122 Flodoard, A, 923.
123 D’après notre schéma n°1 Hugo de Bouges, Thibaud l’Ancien et Roger Ier sont consanguins avec comme valeur moyenne 1:2 ± 1.
121
25
Carte n°2 : l’assise du pouvoir de Thibaud l’Ancien s’apparente à celle d’une marche militaire qui contrôle
deux grands axes fluviaux, la Loire et le Cher en amont du territoire Ingelgerien (Anjou). Ce dispositif a pour
but de prémunir ces régions contre des remontées des Normands de la Loire depuis Nantes. La dernière a eu
lieu en 935. Comme de les prémunir contre les revendications des Aquitains - le dernier conflit notable date
de 955 mais affectera surtout la Loire supérieure. Dans la seconde moitié du Xe siècle cette construction sera
déjà caduque. Légende : en vert l’honneur tourangeau qui ne couvre donc pas tout le pagus carolingien ; en
jaune, le détroit de la vicomté de Blois ; en orangé le nord-est du pagus berrichon. Les traits rouges sont les
limites de diocèses ; la couleur brique montre les terres des moines de Saint-Florent. Cette carte s’inspire en
les complétant et corrigeant de celles de (Lesueur, 1963, p. 80) et de (Devailly, 1973, p. 355).
Si à Blois, Thibaud reste vassal du Robertien, comme à Tours, il en est tout autrement au nord de Bourges.
Thibaud et les milites qui le représenteront sont d’abord vassi regales (vassaux du roi). Ils devront répondre
au semons d’ost du roi en cas de menaces envers le royaume des Francs et son unité (invasions normandes
voire magyares, conflits avec les Aquitains). En régime ordinaire, cette militia est la protectrice de l’Église
Berrichonne. Cela passe par un rapport envers l’archevêque et le chapitre cathédral et parfois par un rôle
d’avouerie comme cela semble le cas pour les terres des moines de Desvres-Vierzon.
Pour conclure on notera une preuve de l’existence et de l’efficacité de ce commandement militaire : pour
l’année 935, Flodoard note124 : « Les Normands [de la Loire], qui ravageaient le pays du Berry, furent
attaqués et taillés en pièces par les Berrichons et les Tourangeaux. »
124
Flodoard, A, 935.
26
La première phase de la vie de Thibaud le Tricheur
Nous ne savons rien de la prime jeunesse du fils aîné de Thibaud l’Ancien. Si nous supposons sa naissance
aux débuts des années 910. Il ne souscrira aucun acte avant la fin des années 920. De même, c’est avant
l’an 930, que devrait s’élaborer la stratégie matrimoniale le concernant.
De fait, dans les documents qui sont parvenus jusqu’à nous, on trouve en mars 931 : "… S. Hugonis Comitis
filii Rotgerii Comitis, S. domni Fulconis, S. Tetbaldi vicecomitis, S. Ebbonis venerabilis viri … S. Tetbaldi (le
futur Tricheur) …" qui souscrivent dans un acte125 de donation de Hugues le Grand, rector abbatiæ sancti
Martini, concernant Chatillon-sur-Indre en faveur de Saint-Martin de Tours.
Peut-être est-ce le jeune Thibaud qui dans la force de l’âge fut à la tête d’une coalition de Tourangeaux et
de Berrichons (soit la marche militaire créé dix ans plus tôt pour son père) qui repoussa les Normands de la
Loire en 935126. De ses compétences sur le champ de bataille, de ses compétences politiques (sa rouerie qui
lui vaudra son surnom) découlent tous les événements qui vont jalonner la suite de sa carrière. Il n’est donc
guère surprenant qu’Hugues le Grand veille de près au cursus du Tricator127 (le Tricheur).
Le titre comtal
Abordons tout de suite une question très débattue mais dont la résolution est fondamentale pour la bonne
compréhension de la naissance de la principauté Thibaldienne - quand et comment les Thibaldiens
acquirent-ils le titre de comte ?
Recensons les sources qui nous sont parvenues pour la période allant de 909 à 944 :
Année
Source
Texte extrait
Chr. Anjou, p.
XCVII, XCVIII
MS. Lat 12878
Tedbaldi Turonorum vicecomitis
3
30 octobre
909
Avant
920 ?
924/25
De Theobaldo comite
4
5
Août 925
Mars 931
6
Mai 939
7
Novembre
941
943
Décembre
943
Vers 944/
945
Historiens de
France, IX, 24
C. Paris, I, 85
RHGF, t. IX, p.
720
RHGF, t. 9, p.
723
C. Fleury,
n°XLVII
MS. Lat 12878
Chr. Comtes
Anjou n°9
1
2
8
9
10
11
Tedbaldi Turonensis vicecomitis
Signum Teubaldi, vicecomitis
S. Tetbaldi vicecomitis … S. Tetbaldi
S. Fulconis, Andegavorum comitis. S.
Theotbaldi Turonorum vicecomitis.
Sig. Teutbaldi comitis.
Tedbaldi Turonensis vicecomitis
Signum Tetbaldi comitis
Commentaires
Repris tardivement dans un
acte de 943 (ligne 8)
Authenticité de la titulature
rejetée (pour Saint-Lomer)
Le second Thibaud est le
Tricheur
Acte fait à Fontaine en
Sologne près de Blois
Acte de la ligne 2 postdatée
Collation sur ce
texte dans (Lot,
1907, p. 175-176)
Thibaud comte abandonne devant son fils
Date reprécisée, apparition
Thibaud des biens et des droits à Saint-Martin du troisième Thibaud déjà
de Tours pour le repos de son âme
né mais encore puer
Après le début des années 940, Le titre de vicomte ne réapparaît plus. Pour les Annales de Flodoard Thibaud le
Tricheur apparaitra toujours comme comte.
125
RHGF, t. IX, p. 720.
Flodoard, A, 935.
127 Ce sobriquet péjoratif apparaît une première fois dans les Histoires de Raoul Glaber, H, L. III, c. 9.
126
27
Le tableau montre clairement que pour la chancellerie ducale et les actes qui s’en inspirent, l’année de
césure est 940. Avant d’aller plus loin, revenons sur les quelques problèmes de datation d’actes qui sont
apparus au travers de ce tableau.
Le problème soulevé par la ligne 3 a déjà été discuté et est lié à l’interpolation du cartulaire de Saint-Lomer
de Blois.
Sur le manuscrit latin 12878, folio 43 (lignes 2 et 8) : la date donnée est de 943. Toutefois sa liste de
souscription montre des incohérences. Le folio 42 qui le précède présente aussi des problèmes
d’authenticité. La notation rarissime comitis vel graphonis est propre à la chancellerie de Saint-Martin du
début du Xe siècle – ainsi par deux fois sur un acte de 905128 où la forme germanique « graf » vient
dédoubler le terme latin « comes ». Il existe aussi un argument formaliste pour justifier ce rejet de datation
initiale : il convient de rappeler que si un Thibaldien a acquis le titre comtal avant 941, il ne peut y a avoir
de régression de titulature dans un acte postérieur.
Pour la ligne 10, nous avons repris les arguments clairs de Ferdinand Lot129 pour préciser la datation de
cette acte, corrigeant ainsi les approximations de dom Mabille.
Après avoir clarifier le « quand » - 940 - il nous reste à préciser le « qui ».
Thibaud l’Ancien a-t-il pu acquérir le titre de comte dans les derniers moments de sa vie ? Poser la question
c’est en partie la résoudre. Pour celui qui a une conscience aigüe des promotions sociales de l’époque, il
n’est guère possible d’imaginer des « gratifications de fin de carrière ». Dans cette société rigide, on ne
devient comte que si on est fils légitime de comte et programmé à le devenir à son tour dès l’enfance. Pour
déroger à ce principe plusieurs conditions doivent être réunies. Dans notre précédente publication130 les
cas de Lambert de Chalon et de Landry de Nevers nous ont offert un parfait aperçu des circonstances qui
permettent de passer du rang vicomtal au rang supérieur :
•
•
•
Un contexte politique de changement précis qui permet de redistribuer des honores ;
Une virtus du néo-comte déjà mise en œuvre, des actions qui prouvent sa capacité à endosser son
nouveau titre – ce qui est généralement sanctionné par une victoire militaire. Le tout en en
démontrant une fidélité et une utilité sans faille à son suzerain, ici Hugues le Grand ;
Une union hypergamique qui apporte131 le titre de comitessa même si ce terme est encore
rarement utilisé. Richilde contrairement à sa bru ne porte pas ce titre dans le seul acte où elle est
citée, ce qui est cohérent avec ce qu’on a reconstitué à son propos.
Ces rappels sont une motivation supplémentaire pour exclure Thibaud l’Ancien de cette promotion
comtale. Nous allons donc nous pencher sur le cas de son fils pour la période allant de 1030 à 1040.
Acte pour Saint-Martin de Tours de juillet 905 : … Guarnegaudi vicecomitis vel graphionis/ Burchardi comitis vel graphionis. Chr.
Anjou, Pièces Justificatives, p. XCIV.
129 Lot, 1907, p. 175-176.
130 Bijard, 2021, p. 35 et 64.
131 Le Jan, p. 355 et sq. Pour Troyes honneur véhiculé par les femmes au Xe siècle : 893, S. Hirmengarae comitissae (ép. du cte de
Troyes Adalelm / 959 S. Adelais comitissa (ép. de Robert de Troyes) et pour Adélaïde de Vienne : S. Adeleidis comitissa.
128
28
« Comes Thetbaldus primus »
« Comes Thetbaldus primus », c’est bien ce que nous rappelle la Petite Chronique de l'Abbaye de Bonneval
en parlant du Tricheur. Cette source132 confirme que c’est le second des Thibaldiens qui revêtit en premier
ce titre. Ainsi, le concernant, on peut légitimement écrire Thibaud Ier. Cette même chronique n’adosse pas
le mot « comte » à lieu particulier : Tours, Blois, Chartres ou Châteaudun. Ainsi quand Karl Ferdinand
Werner écrit133 « en 940 au plus tard, le comté de Blois se joint à la vicomté de Tours parmi les principaux
domaines de cette maison », il commet une double erreur. Premièrement, faire du pagus de Blois un
comitatus, ce qui est en parfaite contradiction avec les diverses sources que nous avons rappelées au
préalable en particulier sur le vicomte Garnegaud. Cette erreur d’approche par la géographie sera réitérée
par le renommé auteur à propos de Chartres. Deuxièmement, il passe outre la réflexion prosopographique
qui doit nous aider à comprendre comment le second Thibaud a pu acquérir le titre comtal.
Le premier des points à analyser sera donc le bouleversement de la donne politique en Neustrie. Ici l’article
de référence reste134 celui d’Yves Sassier. Cet historien, souvent trop respectueux de son prédécesseur K. F.
Werner, a su cependant restituer le cadre institutionnel qui a permis l’émergence d’une nouvelle
génération de comtes au nord de la Loire. En 936, Hugues le Grand est investi du titre de duc des Francs
(dux Francorum), qui supplante celui de marchio pour la Neustrie. Cette émergence d’une sorte de vice-roi
introduit une nouvelle fonction majeure en Francie occidentale. Ce duc doit pour des raisons matérielles,
politiques voire symboliques, déléguer une partie de ces précédents bénéfices à ses fidèles. Notons qu’il en
conservera un certain nombre comme l’abbatiat laïc de Saint-Martin de Tours.
À l’inverse, tous ses vicomtes ne deviennent pas systématiquement comtes – comme à Orléans ou comme
avec les Geoffroy de Chartres-Châteaudun. Avant 941, trois personnages, anciens vicomtes, ont clairement
acquis le titre de comte. Foulques le Bon à Angers - les Ingelgeriens n’y étaient auparavant que vicomte,
même si Foulques le Roux a tenu un temps la régence du comté de Nantes s’est déclaré comitis (octobre
909135). Puis Teudon à Paris et notre Thibaud Ier au sein d’une géographie qui reste à préciser.
À ce stade nous avons les éléments qui rappellent le bouleversement du cadre politique et institutionnel en
Neustrie en 936 et qui vont favoriser les promotions comtales. Nous connaissons la personnalité politique
de Thibaud le Tricheur et devinons son activité militaire dès 935. Reste le troisième critère qui consoliderait
sa position de comte : celui d’un mariage hypergamique ad hoc.
Le cas du premier mariage hypothétique de Thibaud Ier et l’affaire complexe de l’acquisition du « comté de
Chartres » sont en fait liés. Vu la difficulté de la question et vu les apports ô combien bénéfiques que va
apporter sa résolution, un chapitre entier mérite d’y être consacré.
132
Merlet, Petite chronique de l'abbaye de Bonneval : de 857 à 1050 environ, Chartres, 1890, p. 23.
Werner, 1980, p. 266.
134 Sassier, 2004, p. 49-61.
135 Chr. Anjou, Pièces Justificatives, p. XCVII et XCVIII.
133
29
L’acquisition du comitatus chartrain
Aubry de Trois-Fontaines est un auteur qui écrit au début du XIIIe siècle. Quand il évoque les origines des
comtes de Blois-Champagne, il est régulièrement pris en défaut pour ses imprécisions. Cependant cet
auteur souvent mésestimer ne peut être accusé136 de fausser les événements à des fins idéologiques.
Sur les événements du comté chartrain, Aubry137 nous parle dans un premier temps d’une curieuse
transaction. Un certain Hasting, un normand, aurait par crainte de représailles du roi Charles, vendu au
comte Thibaud la cité de Chartres. L’événement n’est pas daté même s’il serait à situer au début du Xe
siècle. Cependant aucun personnage historique du nom de Hasting n’a jamais possédé Chartres. Quant au
mieux connu chef viking Hasting, il avait vécu plusieurs décennies avant.
Cette curieuse tradition ne vient pas d’Aubry puisque nous la trouvons auparavant chez le chroniqueur
normand Guillaume de Jumièges138. Il y ajoute un monologue de Thibaud qui précise la menace du suzerain
sur Hasting : l’expulsion. Elle comporte beaucoup trop d’invraisemblances pour être suivie à la lettre.
D’ailleurs on sent bien Aubry quelque peu gêné aux entournures vis-à-vis de cette croyance puisque, sans
lien de cause à effet, il rajoute juste après139 « et ainsi la cité de Chartres est parvenue au comté de Tours
par un mariage avec les comtes de Champagne ». C’est comme s’il avait voulu contrebalancer sans la renier
complètement la précédente assertion en rappelant un fait capital, un mariage, qui a participé à
l’acquisition de Chartres. Ce témoignage – rarement étudié par l’historien contemporain - semble sincère si
on oublie l’anachronique « Champagne ». Et encore ! Même pour cette dernière déclaration, Aubry ne
rappelle-t-il pas les liens originels qui unissent les Thibaldiens aux confins de la Bourgogne et de la
Lotharingie (c’est la région ou vit le chroniqueur) et dont il avait certainement conscience ?
Nous n’en avons pas fini avec ce même auteur quand ailleurs140 il reprend la Chronique de Saint-Bénigne de
Dijon à propos de l’année 938 et de celles qui suivent. Cette dernière nous dit à propos des débuts du règne
de Louis IV « l'administration de son royaume fut pénible pour celui qui voulut exercer son droit de
suzeraineté, tant par sa capture par Thibaud comte des Chartrains, qu'après sa reprise du royaume, à la
suite de diverses infortunes … ». Cette chronique bourguignonne par sa sobriété et par son recul sur les
événements au Nord du royaume mérite qu’on s’y attarde. Entre 938 et 945, date de la capture de Louis IV,
Thibaud Ier est donc cité officiellement comme comte de Chartres. Elle place ce constat juste après un
événement clairement daté de l’année 938, indiction XI. Elle laisse transparaître un rapport difficile entre le
roi et le comte bien avant 945 et dont Chartres constitue l’un des points d’achoppement.
Transaction financière, union matrimoniale ou brutale mise devant un fait accompli face à une prérogative
royale ? Même si nous nous efforçons de réhabiliter Aubry les Trois-Fontaines il faut reconnaître que ce
dernier ne nous rend pas la tâche facile.
Nous observerons en fait que les trois traditions ne s’excluent pas entre elles.
Revenons à la première. On gomme d’entrée le vernis viking de ce récit semi-légendaire. Comme pour Ketill
face à Ingon, Hasting est l’invention qui vise à masquer une affaire interne à l’élite franque mais qui n’est
pas forcément glorieuse. On supprime aussi la chronologie relative et la période du roi Charles (le Simple)
136
Un exemple de réhabilitation accompagnée des corrections de sa chronique se trouve dans (Mathieu, 1992, p. 1 et sq).
Trois-Fontaines, SS XXIII, p. 752.
138 Jumièges, L. II, cap. XI.
139 Trois-Fontaines, SS XXIII, p. 752.
140 Trois-Fontaines, SS VIII, p. 359.
137
30
qui provient d’une autre tradition véridique mais liée à la bataille de Chartres de 911. À moins qu’ici aussi
ce mélange des événements vienne sciemment brouiller les pistes.
Dans la première tradition, comme dans la troisième, on gardera les notions de rapports de force
aiguillonnés par la crainte mais les acteurs à considérer sont le roi Louis IV, Thibaud Ier qui porterait déjà le
titre de comte, celui pourrait tirer les ficelles derrière ce dernier, Hugues le Grand, et enfin celui qui tient
une part du res de comitatu à Chartres, l’évêque.
On ne rejette pas non plus la notion de rachat de droits. Dans un sens inverse, on croisera au pénultième
chapitre un descendant de Thibaud Ier, vendre sa part de comitatus à l’archevêque de Reims après 1022.
De la seconde tradition, la plus spontanée venant d’Aubry, on gardera à l’esprit un mariage qui aurait
conforté la position du Tricheur dans les pays chartrains. Rappelons que le seul mariage connu de ce
dernier, avec Lietgarde de Vermandois, a lieu après 942. Lietgarde n’a pas de rapport avec le Chartrain. Ce
mariage a eu lieu à la suite d’un événement totalement imprévisible, l’assassinat de Guillaume LongueÉpée, jarl des Normands, premier époux de Lietgarde. Quand cette dernière se remarie finalement avec
Thibaud cela fait plus de 10 ans que celui-ci était en âge de se marier.
Pour clarifier la démonstration, il nous faut à ce stade séparer deux éléments :
•
•
Un premier mariage du Thibaldien et le statut du pagus chartrain (hors de la cité) ;
La civitas de Chartres seule et les rapports avec son évêque.
Après avoir analyser ces deux sous-dossiers nous promettons au lecteur de rédiger une synthèse qui
récapitule le tout et propose une perspective politique aux événements sous-jacents.
Les enfants de la première union du Tricheur
Nous allons passer en revue les différents éléments qui concourent à identifier un premier mariage de
Thibaud Ier.
En 1907, Ferdinand Lot141 fut le premier à émettre cette conjecture. Son argumentaire noyé alors dans le
débat qui cherchait encore à distinguer les deux premiers Thibaud fut hélas peu repris. Il cite une notice où
l'on rapporte l'abandon des coutumes de Vancé par un comte Thibaud. Suivant une note de Mabille, il
précise que ce Thibaud donne au chapitre deux couronnes d'argent, afin qu'après sa mort son corps soit
apporté et enterré à Saint-Martin de Tours. Ensuite, s’appuyant sur un autre acte142 concernant Vancé de
décembre 943, par le duc Hugues, ces deux auteurs ont pu dater la notice « vers 944 » ou peu après. Le
comte cité est bien le Tricheur. À l’hypothèse de Ferdinand Lot, nous ajoutons que Thibaud l’Ancien est
déjà mort et qu’il ne porta jamais le titre de comte. Mais la notice cite un autre Thibaud, fils du premier.
Celui-ci, en âge d’être témoin mais pas de signer, serait né aux débuts des années 930. C’est celui qu’on
appelle parfois Thibaud le Jeune et qui mourra avant son père en 962 à Chartres. Et Ferdinand Lot143 de
conclure judicieusement que Lietgarde de Vermandois ne peut être la mère de Thibaud le Jeune.
D’ailleurs – même si cela n’est pas une preuve définitive en soi – quand Lietgarde cite ses deux fils, Hugues
et Eudes, Thibaud n’est jamais cité. En particulier pour un acte autour de 978, où Lietgarde associe ses deux
fils à une donation pour l’âme et la mémoire de feu son mari Thibaud le Tricheur mais aussi celles de la
141
Lot, 1907, p. 175 et sq.
La meilleure collation des différents textes concernant cette acte est dans (Lot, 1907, p. 175-176).
143 Lot, 1907, p. 177 et sq.
142
31
mère de ce dernier, Richilde, et de son frère Richard. Pas une seule pensée sur celui qui aurait pu être son
fils aîné suivant d’autres schémas que nous ne suivrons pas.
Si on ne voit jamais Thibaud le Jeune associé aux fils de Lietgarde, il est néanmoins associé à une, voire
plusieurs sœurs (utérines). André Du Chesne, le célèbre savant et historien du XVIIe siècle, avait dans son
Histoire de Montmorency fait d’une Hildegarde, une aïeule de Thibaud de Montlhéry, et une fille de
Thibaud le Tricheur. Il s’est appuyé pour cela sur un acte de Lothaire qui est hélas forgé. Il cite144 aussi mais
sans référence précise un texte d’un des cartulaires de Saumur, qui confirmerait que Thibaud avait eu
plusieurs filles. Le dernier point est de toute façon très vraisemblable. Quant au premier, nous avions, avec
l’aide des145 chroniques sénonaises, confirmer l’historicité des événements qui concernèrent Hildegarde.
Mieux, certaines interpolations comme l’existence d’une fortification à Cent-Ulmis (commune des Ormessous-Voulzie) appartenant à Thibaud (le Jeune) et qui jouxte le prieuré de Sauveur-lès-Bray apporte une
confirmation troublante du rôle des Thibaldiens dans cette affaire. L’hypothèse de Du Chesne n’a pas été
toujours suivie, notre travail précédent étant un prérequis à une bonne compréhension de ces faits.
En résumé, vers 958, Thibaud le Jeune, est à la tête de certains castra provinois146, ce qui est parfaitement
cohérent, vu l’âge hypothétique qu’on peut lui donner alors, pas loin de 25 ans. Son père le fait participer
au gouvernement de ses vastes honores dispersés. Il aide son beau-frère Bouchard de Bray et sa sœur dans
la fondation du prieuré. Bouchard représente certainement un rameau des Aubry-Gautier-Bouchard, l’autre
grande famille du Sénonais avec les Bosonides Garnériens. Cette union fait également sens.
C’est ainsi qu’il faut compléter la conjecture de l’historiographe du Grand Siècle. Or il est un autre élément
qui a pu le desservir. En voulant faire d’Hildegarde une fille de Lietgarde, il posa une équivalence entre les
deux anthroponymes féminins. Malheureusement, ce point à rejeter sur le plan onomastique. Il nous reste
toutefois une issue : Hildegarde et Thibaud le Jeune eurent la même mère. C’est dans son stock
onomastique qu’il faut rechercher une « Hildegarde », voire un « Drogo » (neveu d’un Thibaud mais
lequel ?), et enfin un « Gauzbert », clairement cité comme consanguineus d’Emma de Blois en 998.
Il est à ce stade naturel de retourner dans les pays chartrains pour essayer d’identifier la première épouse
du Tricheur.
Les Rorgonides dans la Neustrie du Nord-Est
Nous avions laissé le rorgonide Ermenfroy, comte d’Amiens, s’imposer à Bonneval et à Châteaudun face
aux Widonides. Celui-là est mort147 vers 920. Son frère Gauzbert a pu détenir un temps cet honor mais il
disparaît des sources. On peut suivre leur héritage par le/les fille(s) du premier voire du second.
Philip Grierson a reconstitué la transmission de l’honneur comtal d’Amiens et d’une partie du Vexin via une
de ces filles rorgonide, Hildegarde148 (Eldegarde), qui épousa d’abord Raoul Ier de Gouy. Veuve en 926, elle
épousa ensuite un Waleran possessionné en Valois et en Beauvaisis (voir stemma n°2).
144
Duchesne, 1623, p. 59.
Bijard, 2020, p. 8-9 et annexe III.
146 Notons cet élément qui conforte le fait que Provins est acquis grâce à Richilde. En tout cas il ne l’est pas par Lietgarde.
147 Doumerc, 2020, p. 446.
148 (Doumerc, p. 454, 2020) par confort chronologique rajoute une génération, nous suivons ici (Grierson, p. 102-104) et (SaintPhalle, p. 234 et 244).
145
32
Stemma n°2 : l’alliance des Thibaldiens avec une branche rorgonide.
Mais que devinrent la vicomté de Châteaudun, l’avouerie de Bonneval voire d’autres biens en Chartrain ?
Ce secteur est sous la suzeraineté des Robertiens en bon terme alors avec les Rorgonides. Contrairement à
Amiens/Vexin, l’honneur considéré ici est de rang vicomtal et doit s’inscrire dans un schéma qui le place
sous les comtes rorgonides, eux-mêmes vassaux ici du marquis Neustrien. Il est possible que dès avant leur
décès, Ermenfroy ou Gauzbert avaient aidé à placer l’un de leur proches à la tête de ces bénéfices.
Quoi qu’il en soit, apparaît ici une lignée de vicomtes au nom typiquement rorgonide, Geoffroy. Le premier
est dit vicomte chartrain, le second vicomte en Dunois. Il nous faudra expliquer ce glissement sémantique.
En attendant, il n’est pas surprenant, de rencontrer une présence rorgonide à divers endroits des régions
carnutes. Une méthode régressive nous permet de dresser une liste des lieux qui montre cet ancrage :
•
•
•
•
•
Châteaudun-Bonneval bien sûr ;
Nogent-le-Rotrou avec Rotricus (les Rotrou) ;
Illiers-Combray et Gallardon au côté de l’Église de Chartres où un vicomte de Châteaudun Hugues,
protecteur de ces terres sera en conflit avec l’évêque Fulbert au début du XIe siècle ;
Toujours comme voués, avec les dépendances de Bonneval hors Dunois - à Gallardon et Auneau ;
Lèves - à une lieu gauloise - de la cité chartraine, avec la tige qui donnera Geoffroy de Lèves.
Si ces zones étaient à rattacher au premier vicomte Geoffroy, il n’est pas choquant qu’il ait pu aussi prendre
le titre de ‘’vicomte chartrain’’. Mais cela n’inclurait ni la cité épiscopale intramuros ni de grandes portions
de la province ecclésiastique de Chartres (par exemple Dreux et au-delà).
En conclusion, nous avons plusieurs niveaux dans la hiérarchie des dépendances en Dunois et dans
l’arrière-pays chartrain : 1/ un niveau vicomtal avec les Geoffroy ; 2/ un niveau comtal qui dépendait
originellement des Rorgonides basés à Amiens et qui sera à pourvoir à leur extinction ; 3/ le niveau du
marquisat neustrien avec Hugues le Grand dont dépendent les comtes au sud de la Seine.
33
Après la disparition d’Ermenfroy et de Gauzbert d’Amiens se pose la question de la transmission de leurs
bénéfices méridionaux. Leur héritière Hildegarde ne semble pas être le vecteur de cette transmission.
Comment ont-t-ils pu être raisonnablement administrés et légitimement récupérés ? Le Robertien Hugues
le Grand a pu un temps exercé une « régence » mais une solution plus viable doit être trouvée.
Si les comtes d’Amiens ont une autre héritière, celle-ci a pu en revanche par mariage être le rouage que
nous recherchons (cf. stemma n°2).
L’élément fondateur serait donc l’existence d’une sœur d’Hildegarde ayant épousé peu après 930 Thibaud
le Tricheur. Cette reconstruction nous permet d’expliquer :
•
•
•
La légitimité de Thibaud Ier à devenir comte ; son épouse lui porte un titre et un honor ; les deux
autres conditions ont déjà été évoquées : des aptitudes personnelles de commandement et surtout
un réaménagement profond de la gouvernance en Neustrie à partir de 936 ;
Comme le firent les comtes d’Amiens, la capacité à chapeauter la lignée vicomtale des Geoffroy, en
se posant comme strate intermédiaire entre ces derniers et les Robertiens, au sein d’un vaste
regroupement comtal sur lequel nous reviendrons ;
Enfin, la résolution des problèmes liés à un premier mariage du thibaldien et la transmission d’un
stock onomastique rorgonide chez une partie de ses descendants.
Au cœur de Chartres
Les bribes d’information rapportés par Aubry de Trois-Fontaines nous invitent à observer ce qui se passe à
Chartres dans les années 938-940, c’est-à-dire, et ce n’est pas un hasard, peu après que le Tricator eut
rempli toutes les conditions pour être comte et après qu’il eut déjà pris pied en chartrain.
Jacques Boussard149 rappelle que le siège épiscopal de Chartres, comme le Mans ou Tours reste en théorie
une collation royale. Les événements de 911, ont pu favoriser un temps l’influence des Robertiens face aux
Rollonides et aux Carolingiens. Or entre 930 et 941150, nous trouvons sur ce siège un Haganon.
Attardons-nous sur l’anthroponyme « Haganon ». Il y a une assonance réelle entre ce nom et celui du
légendaire « Hasting » qui aurait tenu Chartres au moment où Thibaud a récupéré cette cité. Cette
assonance n’est pas sans rappeler celle entre Hugo et Ingon d’Aquitaine dans un autre mythe.
Allons plus loin. Haganon est un anthroponyme rarissime en Neustrie, aussi avec André Chédeville151,
serions-nous tentés de le rapprocher du célèbre conseiller de Charles le Simple, celui qui malgré lui
contribua à la destitution du roi. Faut-il pour autant identifier les deux personnages ou faire du second un
proche du premier ? À vrai dire la réponse exacte à cette question ne change pas le raisonnement qui va
suivre. Disons que le Haganon en place à Chartres pourrait être un pro-carolingien placé avant l’arrivée du
roi Raoul où à l’occasion d’accords passés entre Charles le Simple et les Grands de Francie. Il est un autre
élément qui mérite l’intérêt : un nécrologe de Chartres de 1029152 indique : « VIIII kal. jan. Anno Domini
DCCCCXLI, indictione XlIII, obiit Haganus episcopus et comes... ».
149
J. Boussard, Les évêques en Neustrie avant la réforme grégorienne, Journal des Savants, 1970, p. 161-196.
C. N-D Chartres, t. 1, p. 12.
151 Chédeville, 1973.
152 A. Longnon, Obituaires de la province de Sens, t. II, p. 4.
150
34
Le Haganon, conseiller fidèle de Charles le Simple, avait accumulé déjà, charges comtales et abbatiats laïcs.
La Haganon de Chartres, quant à lui, n’est donc pas seulement évêque mais aussi détenteur d’un bénéfice
comtal. On ne saurait dire sur ces bases si cette qualité de comte a un lien avec les charges lotharingiennes
confiées par le roi carolingien au premier. On peut en revanche se demander si l’arrivée des Haganonides à
Chartres n’a pas pesé sur le devenir du comitatus dans la boucle de l’Eure. Qu’en était-il jusqu’ici ?
Une tradition enregistrée par la « Vieille Chronique » de Chartes153, rédigée en 1389, veut que depuis
Malard (VIIe siècle), les évêques aient exercé l’autorité comtale - chose invérifiable. Ce serait sous Hardouin
(années 950) qu’aurait été institué un comte laïc. Il aurait choisi un proche, un certain Eudes, et l’aurait
doté du temporel de Saint-Père (carte n°4) et de Saint-Martin-du-Val. Cette tradition154 est fausse. On sait
que le thibaldien Eudes Ier était comte de Chartres après son père Thibaud Ier, et que ce fut bien après
l’épiscopat d’Ardouin qui n’est pas son parent155. Ce récit, comme la légende d’Hasting, crée sans doute à
dessein une confusion. Ici le but est de laisser le beau rôle à l’Église de Chartres qui de manière volontaire
et spontanée se serait débarrassé des affaires du siècle pour se concentrer sur sa mission pastorale.
Une autre preuve nous montre la détention d’une partie de l’autorité comtale par l’évêque – chose que
l’on retrouve dans plusieurs villes épiscopales du carolingien tardif. Lors de la fameuse bataille de Chartres
de 911 contre les Normands, l’évêque Gaucelme vient au secours des troupes neustriennes et
bourguignonnes à la tête de sa milice156 urbaine. Auparavant on le voyait du haut des remparts exhiber les
reliques de son église dont la Tunique de la Vierge.
Le commandement de la militia urbaine, la surveillance et l’entretien des remparts, la garde des clés des
portes de la ville, révèlent éminemment de l’autorité comtale.
Nous n’entrerons pas dans des débats simplistes qui amèneraient à faire croire que tout comitatus serait
détenu de façon homogène par la même paire de mains dans la cité comme dans l’ensemble du plat-pays.
Cela vaut pour le pagus de Chartres, comme pour celui de Tours ou de Sens. Nous renverrons le lecteur aux
précieux travaux sur la question d’Olivier Guyotjeannin157 menés dans diverses villes épiscopales.
En synthèse, la situation du comté de Chartres diffèrerait entre un hinterland majoritairement sous
domination laïc et le statut intramuros qui à l’avènement d’Haganon concentre le gros du pouvoir comtal
aux mains de l’évêque. Dès lors les ingrédients de la crise qui s’annonce sont :
•
•
•
Une cité chartraine qui constitue une épine au sein de la construction comtale qu’érige Hugues le
Grand pour son fidèle Thibaud alors que la situation avec les Normands de la Seine se tend158 ; elle
constitue une enclave et une potentielle menace ;
Les Haganonides tristement célèbres pour leurs ambitions dans le royaume de l’Ouest et qui ont
l’habitude d’accumuler bénéfices laïcs et ecclésiastiques arrivent peut-être dans la cité avec la
volonté d’y consolider un comitatus ;
D’ailleurs l’épisode de Chartres qui débute en 938 constitue probablement le dernier acte d’une
vieille rivalité entre Haganonides et Robertiens (Rupertiens) qui remonte à plus d’un demi-siècle.
153
C. N-D Chartres, t. 1, p. 7.
C. N-D Chartres, t. 1, p. 13.
155 Les Ardouin sont en revanche dans la fidélité des Thibaldiens.
156 Lesueur, 1963, p. 60.
157 Guyotjeannin, 1992, p 161 et sq.
158 Voir l’annexe II.
154
35
Née159 sur les bords du Rhin, à propos de l’abbaye de Lorsch, cette rivalité a atteint son paroxysme en
920 lorsque le roi Charles le Simple ne voulut pas se séparer d’Haganon en tant que principal conseiller.
Mais le carolingien obtint l’unanimité des Grands contre lui et dut faire marche arrière. Le marquis
Robert et Haganon restèrent irréconciliables. Flodoard ne cache pas sa défiance vis-à-vis d’Haganon.
« … quem de mediocribus potentem fecerat … » lui reproche-t-il160 – nous retrouvons cette rengaine
qu’un aristocrate de la classe des mediocri ne peut endosser la charge d’un optimas. Nous l’avons
rencontrée au sujet des Hugonides-Thibaldiens sous le stylet acrimonieux de Raoul Glaber ou dans la
légende rapportée par Richer.
Conclusion du chapitre
À la fin des années 930, Thibaud le Tricheur est au cœur d’un processus qui va l’élever à la fonction comtale
(schéma n°2). Ce bénéfice va regrouper les honores ligériens de son père (à son décès en 940) et une partie
de l’héritage rorgonide de la famille d’Ermenfroy d’Amiens et de Châteaudun. Ce mariage entre un
thibaldien ayant une ascendance Widonide et une Rorgonide peut aussi être lu comme le moyen de
refermer la vielle opposition entre ces deux Sippen au IXe siècle du côté de Châteaudun.
Ermenfroy avait la haute main sur une lignée vicomtale administrant localement un bénéfice dans le platpays chartrain et dunois. C’est le Carnotensium Vicecomitis161 Geoffroy comme le désigne un acte de 939
où sont présents Thibaud l’Ancien et d’autres Grands de Neustrie devant leur suzerain le duc Hugues mais
en l’absence du Tricator – comte en puissance mais pas encore totalement investi.
Schéma n°2 – une acquisition du titre comtal par étapes : avant la mort de son père en 940, Thibaud Ier est
déjà virtuellement comte grâce à son mariage puis à l’investiture du nouveau dux Francorum. Toutefois le
conservatisme des chancelleries ne lui en donne pas encore le titre et attendra le décès de Thibaud l’Ancien.
Cette bienséance ne s’impose pas pour Foulques le Bon d’Anjou qui teste désormais sans son père en 939162.
Il vient de conclure un mariage hypergamique avec Gerberge163 et peut d’ores et déjà arborer son titre.
159
Lecouteux, 2010, p. 63-65.
Flodoard, A, 920 et Lecouteux, 2010, p. 61.
161 RHGF, t. 9, p. 723.
162 RHGF, t. 9, p. 723.
163 Bijard, 2021, p. 47-50.
160
36
En attendant, fort de son mariage et du soutien Robertien, Thibaud engage un rapport de force avec
l’évêque Haganon pour que celui-ci lui cède – lui vende – une partie significative de son res de comitatu.
Haganon craint le duc, comme Hasting craint le roi dans ce jeu d’inversion que nous impose toujours les
récits réinterprétés. Cette transaction sera sans doute complétement effective à la mort du prélat. Ce coup
de force accompagné d’expropriations sur lesquelles nous reviendrons, laissera malgré le maquillage de
récits légendaires ou enjolivés, de profondes traces au sein de l’Église de Chartres et sur les rapports avec la
royauté carolingienne qui n’aurait pas réellement approuvé ce transfert d’autorité.
Les trois récits d’Aubry de Trois-Fontaines ont donc un bien-fondé. La légende qu’il colporte à la suite de
Guillaume de Jumièges relève bien un climat de « crainte » que ne compense pas l’indemnité de ce rachat
de la fonction comtale, indemnité qui n’est pas précisée : autres biens ou droits, censive, numéraire, …
Comme pour le récit d’Ingon d’Aquitaine, les rôles ont été brouillés : le roi en question est Louis IV
d’Outremer et non son père Charles le Simple – qui n’est que le défenseur d’Haganon avant 927. Comme
l’assassinat du viking Ketill par Ingon masque celui de Hugo par le Guillaume le Pieux, le viking Hasting
cache un Franc, Haganon. Ici aussi l’introduction d’un païen dans le récit fait oublier un acte fortement
répréhensible au sens où les mœurs religieuses de l’époque l’entendaient.
Et comme le signalait Aubry, un mariage a joué un rôle dans l’implantation Thibaldienne en Chartrain. Une
fois comte, le second Geoffroy, son vassal, fils probable de Geoffroy de Chartres, ne sera que vicecomes
Castridunensis – de Châteaudun. Ce glissement sémantique traduit la concentration réelle de l’autorité du
vicomte dans les pays carnutes. Elle laissera la prédominance du génitif « de Chartres » à Thibaud qui a
réussi le tour de force de s’arroger le comté dans la cité.
Sans attendre son second mariage – qui n’aura pas lieu avant 944 – avec Lietgarde de Vermandois, la
carrière de Thibaud Ier est déjà exceptionnelle à ce stade. Passons en revue ce que nous savons au sein de
cette puissante formation territoriale. C’est dans un second temps que nous scruterons l’activité de
Thibaud au nord de la Seine et de la Marne, activité qui réveillera d’ailleurs le tropisme des Thibaldiens
pour les confins de la Bourgogne et de la Lotharingie.
37
Le grand comté de Thibaud le Tricheur dans les décennies centrales du Xe siècle
Si les honneurs qui ont été constitués pour Thibaud le Vieux correspondent à un besoin politique et militaire
pour le contrôle de la Loire moyenne et de la vallée du Cher, ceux qui vont participer à la construction comtale
pour son fils le seront tout autant.
Un nouveau grand commandement face aux Normands de la Seine
Comme l’a montré le précédent chapitre il est réducteur voire maladroit de vouloir adosser l’acquisition de
la fonction comtale par rapport à une seule ville ou à un seul pays administratif (Tours, Blois, Chartres) puis
de tenter vainement de faire une chronologie de l’évolution géographique de cette fonction.
Il apparaît plus judicieux de mener une approche globale et de considérer cette charge comtale – on
pourrait dire archi-comtale – comme un seul tenant répondant à un dessein politico-militaire bien précis.
Carte n°3 : la genèse d’une contre-marche - Fond de carte issu de Wikicommons. Par ses diverses alliances
(carolingienne, rorgonide, unrochide, herbertienne) la lignée d’origine scandinave des Rollonides peut
réclamer légitimement une des marches historiques de Neustrie. Une fois élevé au rang de duc des Francs,
en 936, Hugues le Grand se méfie des nouvelles ambitions normandes vers la côte picarde, le chartrain, le
Maine et la principauté bretonne. La constitution progressive des honneurs thibaldiens (dates d’acquisition
en vert) doit contenir ces appétits. Les Rollonides veillent à s’implanter dans les terres où le peuplement
franc reste majoritaire : Évreux-Dreux, pagus de Sées et les ex-terres unrochides : Bessin, Maine, Ponthieu.
Pour mieux saisir l’objectif du nouveau duc Hugues le Grand nous avons d’abord dressé d’une part une
carte (n°3) qui met en exergue les points de tension entre la principauté normande et cette construction
comtale particulière – qui va encore grossir après 940. Puis dans l’annexe II, nous avons établi une
chronologie synthétique des événements ayant trait aux Normands de la Seine, avec en vis-à-vis la situation
dans le reste de cette Neustrie Robertienne qui sera principalement sous influence thibaldienne.
38
Dans les relations pas toujours faciles à cerner entre Normands de la Seine et Robertiens, la seconde partie
des années 930 devient celle d’une défiance réelle. Le marquis devenu duc engage une politique pour
« contenir » ou pour « endiguer164 » sur tous les fronts les Rollonides. Parmi tous les acteurs qui
contribuèrent à cette politique, les Thibaldiens en sont les grands protagonistes, d’autant plus que cette
ascension va se poursuivre après 943 en récupérant une partie de l’héritage herbertien, qui lui aussi avait
pour objectif de contenir les Normands de Rouen entre Seine et Oise165.
Guillaume Longue-Épée après la disparition du titre de marchio chez le Robertien au profit de celui de dux
se proclame le détenteur de la première des marches. Il y a toujours eu une dualité en Neustrie, une double
marche, avec une rivalité sous-jacente pour qui exercerait une primauté dans ce duo de marquis. Si on suit
les travaux d’Hubert Guillotel166, cette partition remonte à 861 sous Charles le Chauve. Les Unrochides, tel
le marquis Bérenger, s’installent dans le nord de la Neustrie notamment à Bayeux. Le mariage more danico
du premier Rollonide avec une fille du principes Bérenger167 assoira les futures prétentions du normand
Rollon dans cette région qui intéresse aussi les Robertiens.
En 936, Hugues le Grand devenu duc agit désormais dans un cercle de pouvoir plus élevé. Il doit nommer
des comtes. Il ne peut plus être le simple marquis qui s’abaisserait à être l’adversaire direct du normand
Guillaume. En revanche, la constitution d’une contre-marche, avec à sa tête son comte le plus fidèle,
reproduit quelque part les schémas de la double marche.
Mais Thibaud Ier fils de vicomte, ne peut prétendre au titre du « marchio », son titre de comte (multiple)
constitue le summum de sa titulature. Pourtant c’est bien une véritable marche qu’il commandera. À une
seule occasion – sans doute lors de la concrétisation de son union avec Berthe, fille de roi – un thibaldien,
Eudes Ier, osera le marchio et comes. Mais l’essai restera sans lendemain, le conservatisme des chancelleries
reviendra au titre de « comte ».
Les prérogatives de cet archi-comte résultent de l’addition des différents bénéfices pour cette protoprincipauté, au sein de la Neustrie, où nous avons dans l’ordre chronologique :
•
•
•
Un vicecomitatus réduit en Touraine. Néanmoins Thibaud Ier consolide sa tutio directe envers les
abbayes et les terres de Marmoutier et de Saumur. Saint-Martin reste une enclave robertienne. La
particularité de Tours fait que l’appellation « comte des Tourangeaux » reste rare168 ;
Le vicecomitatus de Blois ; ce site fortifié, par sa position centrale entre Tours, Chartres et le Berry
va devenir un lieu de pouvoir important de la lignée. Le titre « comte de Blois » sera lui fréquent ;
Et le comté chartrain fait d’une mosaïque de droits collectée dans la ville-même, dans son pagus
ainsi que dans celui de Châteaudun et à Bonneval.
Bien sûr, toutes les hypothèses et conclusions que nous avons avancées jusqu’ici sont perfectibles voire
critiquables. Elles tentent néanmoins de répondre à des questions encore ouvertes et à corriger des
incohérences latentes portées par une historiographie qui par son inertie a pu porter préjudice à une saine
avancée de la recherche. Un paragraphe n’est donc pas inutile pour cette mise au point et pour donner les
arguments qui permettent de rejeter le schéma véhiculé depuis les années 1980.
164
Van Tordhout, 2010, p. 617.
Bur, 1977, p. 89.
166 Guillotel, 2000 p. 7-13.
167 Keats-Rohan, 2000, p. 146.
168 Il faut bien noter que ce titre sera porté uniquement quand Thibaud Ier assurera une quasi-régence en Neustrie, cf. infra.
165
39
Un cas d’école de problème historiographique
L’historien qui joua un rôle déterminant dans les théories modernes concernant les Thibaldiens est sans
conteste Karl Ferdinand Werner. Ses travaux sont répartis sur plusieurs articles169. Nous avons déjà pu
évoquer ses assertions hâtives concernant un lien familial entre Thibaud l’Ancien et les Bosonides
Hubertiens ou bien sur le statut du « comté de Blois » suivant un raisonnement critiquable qui consiste à
penser que le titre de comte apparaissant en 940, il ne peut s’appliquer avec certitude qu’à Blois. Alors que
sa démonstration n’a pas encore commencé, il en a déjà séparé artificiellement certains éléments.
Mais son article qui a marqué plus d’une génération d’historien reste celui de 1980 : « L’acquisition par la
Maison de Blois des comtés de Chartres et de Châteaudun ».
La méthode du natif de Neunkirchen pour traiter les sources, trop brutale, fait perdre de façon irréversible
de précieuses informations. La légende de Hasting et Thibaud à Chartres est bien qualifiée d’historiette
anachronique mais il est bien péremptoire d’ajouter « sans valeur ». Plus loin un acte de Cartulaire SaintPère de Chartres qui a été simplement interpolé, comme beaucoup, est rejeté comme « faux vulgaire » !
Nous ne listerons pas les sources qui ne sont guère mentionnées.
En fait tout laisse à penser que l’historien allemand a déjà sa conclusion en tête et sa démonstration
insuffisante ne vise qu’à emmener le lecteur à celle-ci en gommant toutes incohérences et contradictions. Il
en est ainsi de la chronologie qu’il propose à partir d’éléments pourtant intéressants à exploiter.
En qualifiant de façon réductrice Hugues le Grand de « comte de Chartres » et Geoffroy de « vicomte de
Chartres » en 939, sans développer la complexité de la réalité chartraine, il nous dit quelque part ceci : le
changement de 940 n’a aucun rapport avec la suzeraineté sur la cité carnute puisque les titres de comte et
vicomte y seraient déjà pourvus. Allons donc plus loin dans la chronologie pour y identifier l’apparition de
Thibaud ! En rejetant l’acte du cartulaire de Saint-Père interpolé et daté de « 950 », il poursuit mais cette
fois d’une manière inacceptable en affirmant que cette date ou ce « terminus ad quem étant tombé » (sic),
on peut encore avancer dans le temps. La suite n’est qu’argumentum a silentio ou sophisme du silence,
pour aboutir à une conclusion fallacieuse. Thibaud Ier n’a pu devenir comte à Chartres qu’après la mort du
duc Hugues le Grand en 956 puis d’ajouter, ce qui va vite devenir un poncif de l’historiographie
contemporaine, qu’il profita de la minorité de Hugues Capet pour opérer cette usurpation inouïe.
L’ancien directeur de l’École franco-allemande garde aussi un a priori préjudiciable en tête, Hugues le
Grand « comte de Chartres » a pu difficilement se dessaisir de son honor avant sa mort en 956. Or on ne
comprend pourquoi il l’aurait fait sans difficulté avant 940 à Angers, Blois ou Paris et pas ici. Jamais n’est
présenté ni analysé le scénario d’une dévolution du vivant du Robertien et sous son contrôle.
Puis faisant une précieuse compilation des textes relatifs à la construction de la tour-maîtresse comtale à
Chartres, il relie de façon surprenante une exaction réelle : une expropriation violente des moines de SaintPère sur un terrain leur appartenant et une supposée usurpation – encore plus violente et répétons-le qui
serait inédite - des droits comtaux à Chartres.
Oublions la démonstration biaisée et partons simplement de la conclusion de Karl Ferdinand Werner qui a
été mise sur un piédestal par l’historiographie : l’affirmation qu’après la mort de Hugues le Grand et
jusqu’à la fin de la minorité politique de son fils, Hugues Capet, en 960, le thibaldien aurait usurpé un ou
plusieurs bénéfices. Et c’est finalement cela le plus déroutant. On signalera que nous n’avons aucun fait
équivalent dans l’histoire du carolingien tardif et des premiers capétiens. Il y a bien sûr les cas nombreux de
conflits d’héritage mais qui ne s’applique évidemment pas à Chartres. Surtout ce type d’acte est d’une
169
Liste non exhaustive : Werner, 1980 ; Werner, 1992 ; Werner, 2004.
40
gravité extrême ! Supposons même que le jeune Hugues Capet soit dans l’incapacité de réagir, dans cette
société qui est tout sauf anarchique, des mécanismes de régulation auraient été enclenché pour remettre
au pas le Thibaldien : le roi d’abord, puis l’Église, et l’ensemble des autres vassaux robertiens en Neustrie.
Pourtant rien de cela au moment des faits, ni rien de cela après. Un contentieux d’une telle gravité aurait
laissé des traces. Mais on n’en trouve absolument aucune.
Ensuite d’autres grands auteurs qui font référence contribueront à consolider cette doxa initiée par
l’historien allemand comme André Chédeville170. Yves Sassier dira en 2004 à propos de cet article qu’il a
remarquablement renouvelé la question171 – ce que personne ne contestera - et ce d’une façon qui lui
semble « définitive » ! Pourquoi un historien aussi connu du grand public ferme-t-il ainsi le débat ? Le
meilleur hommage qu’on puisse faire à l’historien allemand n’est-il pas plutôt d’améliorer ses thèses ?
C’est pourtant ce que fait Yves Sassier ensuite en nous faisant part d’une analyse institutionnelle très fine
dont il nous a déjà habitué. La suite de l’article reste une référence pour expliquer les promotions comtales
qui font suite à l’accession au titre ducal par Hugues le Grand. Ce point a été suffisamment repris et
commenté dans les chapitres précédents. Sa synthèse reste d’actualité si on fait abstraction des inutiles
usurpations qui se seraient ajoutées à la construction délibérée d’Hugues le Grand pour son favori. Par voie
de conséquence, suit une interprétation incomplète de la crise de 962 avec la Normandie et le jeune duc.
Dans le domaine de la prosopographie et de l’onomastique la doxa que nous épinglons ne fut pas non plus
sans conséquence. Un auteur de référence ici, Christian Settipani, resitue l’acquisition des comtés de Blois,
Chartres et Châteaudun vers 960 ! C’est la forme la plus caricaturale du modèle wernerien. Hélas ainsi il
hypothèque toute chance de restituer la complexité des événements du chartrain. Restent les éléments
anthroponymiques et géopolitiques qu’il faut bien replacer. Et l’auteur de conclure que les Thibaldiens sont
une famille Rorgonide. Ce qui, formulé ainsi, pose bien sûr plus de problèmes qu’il en résout.
Parfois, un bol d’oxygène peut venir de plus loin. De l’autre côté du Rhin, rien, Werner y fait peut-être
également référence. Chez les auteurs anglo-saxons, nous n’avons rien trouvé d’intéressant. Dans une
courte allusion, Katharine S. B. Keats-Rohan reprend et actualise les origines de Richilde. Mais son
rattachement aux Hugonides occidentaux ne nous convainc toujours pas. Avec la théorie de l’usurpation
chartraine, le lien avec le Maine carolingien ou rorgonide reste l’autre grand mirage des études
thibaldiennes.
Pour conclure, nous pensons que le meilleur hommage que l’on puisse rendre à l’historien Sarrois c’est bien
de continuer à dire que c’est un auteur de référence – plutôt que de dire un auteur qui fait autorité172. C’est
surtout d’essayer de compléter et de corriger son œuvre en appliquant des méthodes d’analyse et des
raisonnements rigoureux – pour ce dernier point, l’interdisciplinarité avec les autres communautés de
recherche scientifique est un plus. Il n’y a pas de fatalité à ce que l’histoire médiévale soit un champ de
recherches qui reste en retard ou conserve des lacunes en termes de méthode.
Ayant acté les apports à double tranchant de l’historiographie, poursuivons notre étude prudemment.
170 Dans ses premiers ouvrages (Chédeville, 1973), l’auteur plein de nuances fut d’une contribution inestimable. Dans (Blois, 2000)
l’ancien membre de l’Université de Rennes nous offre une compilation des topoi du dossier thibaldien sans idée nouvelle.
171 Sassier, 2004, p.49.
172 Ainsi, Guillotel, 2000. Le mot « autorité » induit en français un frein à la remise en cause.
41
Les symboles du pouvoir dans l’espace thibaldien
Thibaud Ier est pleinement comte autour de 940, au décès de son père. Il obtient comme nouvelle
prérogative régalienne, une autonomie pour construire des fortifications.
La Chronique de Nantes dit173 : « Et de expletis, quae inde habuit, Carnoti turrem et Blesii et Cainonis
perfecit. » A partir de 952, la tutelle de Thibaud sur Rennes lui permit un accroissement de revenus lui
permettant des projets plus ambitieux dans la réfection de tours maitresses à Chartres, Blois et Chinon.
La tour-maîtresse de Chinon : la viguerie carolingienne est remplacée par la viguerie du château chinonais
qui déborde les limites du pagus se confondant avec le territoire soumis au ban militaire174. À l’époque
carolingienne la structure générale du site castrale se précise : à l’est, un pôle aristocratique fortifié avec a
priori une construction de type “aula”, domine une basse-cour utilitaire occidentale175. La aula devient une
alta turris sous Thibaud le Tricheur qui l’entoure d’une enceinte propre qui l’isole du vieux castrum,
renforçant sa capacité défensive.
Chinon, ce vieil oppidum face à l’Aquitaine, est le seul grand castrum récupéré par les Thibaldiens à leur
installation en Touraine, il a pu influencer des sites fortifiés plus modestes comme Blois.
Le château de Blois : du temps du vicomte Garnegaud, le château existait déjà mais n’avait pas subi de
modifications, un acte de 903 dit : « in blesus castro, intus, in vetus castello », il suggère un réduit fortifié au
sein de la ville haute. Une solution de continuité imposerait que cette partie noble soit située au sud-est de
l’éperon. D’ailleurs dans la première moitié du Xe siècle, le promontoire revêt encore un caractère semirural. Un fossé défensif contemporain a été identifié, séparant clairement les deux parties de l’éperon. Puis
dans le courant du Xe siècle une nouvelle enceinte est édifiée, elle est maçonnée, son assise est importante.
Comme ses vestiges ont été trouvés sur le rebord oriental, ces travaux concernent de fait tout l’éperon.
Cela traduit une mainmise des comtes sur l’ensemble du site. Ce qui suppose diverses transactions pour
récupérer les lopins nécessaires. D’ailleurs, juste après la fin de ce même siècle le grand fossé176 séparant la
partie noble disparaît. Le pouvoir comtal a donc repoussé sa zone de retranchements derrière les nouvelles
murailles et les nouveaux fossés. Ce qui n’empêche pas une autre séparation au sein de l’éperon entre
haute-cour (avec aula réhaussée comme à Chinon) et basse-cour. En résumé, les travaux structurants
identifiés à Blois sont compatibles avec l’ascension comtale de Thibaud Ier des années 940 aux années 960.
La tour comtale de Chartres : pour Chartres, relisons la Chronique des Églises d’Anjou qui évoque
également la construction de sa tour maîtresse. Ce passage versifié déjà évoqué177 doit être correctement
traduit. La rareté des sources et les interprétations hâtives de l’historiographie contemporaine nous
poussent à en chercher la traduction la plus fidèle. Or chose surprenante, nous n’avons trouvé aucune
traduction précise ou convaincante. Donnons les vers qui posent difficulté :
173
Chr. Nantes, p. 108.
Synthèse de Sassier, 1987, reprenant les travaux de Jean-Pierre Brunterc’h.
175 Bruno Dufaÿ. Chinon, l'évolution du site castral de la fin de l'âge du Fer à la fin du Moyen Age, in : Zadora-Rio É. (dir.) - Atlas
Archéologique de Touraine, 53e Supplément à la Revue Archéologique du Centre de la France, FERACF, Tours, 2014.
176 Blois, 2000, p. 65.
177 Chr. Églises Anjou, p. 247.
174
42
« … Qui vivens turres altas construxit et aedes /
Unum Carnotum, sed apud Dunense reatum /
Non minuit proprium, turritum dans ibi castrum /
Multa construxit, quae non sine crimine fecit … »
Nous-mêmes, nous buttions pour trouver une traduction satisfaisante quand un bol d’oxygène nous vint de
l’Université Notre-Dame dans l’Indiana. Margot Fassler178 dans sa tentative de traduction y fait apparaître
ce que la rhétorique latine nommait disiunctio. En effet il ne faut guère négliger parmi les auteurs cléricaux
des Xe et XIe siècles une certaine propension à versifier en utilisant les hyperbates et les inversions.
Toutefois nous ne suivrons pas entièrement la restitution de l’auteure. Nous proposons ce qui suit en
utilisant un code couleur car la double disiunctio (telles des poupées russes) rend difficile cette traduction.
Ainsi les vers parlant de Thibaud Ier nous raconteraient ceci :
De son vivant il construisit de hautes tours et un sanctuaire [Saumur]
Il y en eut une à Chartres, tour qui fut distraite de la citadelle
Même si elle se rattache à la propriété [comtale] du Dunois
Cela n’en diminuait pas la faute (ou le péché)
Il mena de nombreux chantiers, ce qu'il ne fit pas sans blâme
Tout cela suggère une entreprise qui a démarré dès la transaction qui arrache certains droits à l’évêque (fl.
940). L’un des vers parle clairement d’une tour érigée à partir du castrum antique. Un autre nous la
présente comme relevant des Dunois179 – nous sommes dans une optique d’avant 940 où le centre du
pouvoir laïque n’est pas encore à Chartres. Toutefois Thibaud accaparant le res de comitatu ne se contente
pas de refaire une tour de flanquement dans cette muraille tardo-antique (carte n°4). Comme à Chinon,
c’est une tour-maîtresse qu’il envisage. Elle va faire également office de cour comtale ou aula.
Ce qui choque les moines de Saint-Florent, ce n’est pas tant la manière dont Thibaud Ier a acquis des droits
comtaux que la violence avec laquelle il aurait exproprié les chanoines de l’abbaye Saint-Père.
Le cartulaire de Saint-Père nous détaille180 l’étendue de leur domaine « bordant l’Eure, sous la cité même,
de la porte Évière jusqu’à la porte Cendreuse ». Il ajoute que « les anciens moines puis les chanoines après
eux, près de la muraille, de cette première porte vers cette seconde porte, possédaient la terre par droit
héréditaire. Or à l’arrivée du comte dans la cité celui-ci érigea une tour, et dans la vallée en contre-bas, il
subtilisa le cens ainsi que les coutumes. Ce même comte, par compensation, chaque année, ordonna
qu’une mesure de vin soit donné aux moines ». Le texte se poursuit avec les ilots de Saint-Père à l’intérieur
178
Fassler, 2010, p. 32.
Certaines traductions négligées de ce passage soutiennent que Thibaud a érigé une tour maîtresse à Châteaudun. Or les comtes
de Blois ne se présenteront jamais en propriétaire de tout ou partie du castellum dunois. En revanche, les droits de fortifications
des vicomtes de Châteaudun ou des seigneurs de Nogent-le-Rotrou procèderont du comte thibaldien.
180 C. St-Père, p. 23.
179
43
de la muraille. Sur la carte n°4, le tracé du futur bourg du château sur l’ancien espace appartenant à SaintPère permet de se faire une idée précise de cette expropriation.
Carte n°4 : le tracé vert foncé indique l’étendue des possessions de Saint-Père à l’extérieur de la muraille
antique qui sera diminuée par le bourg castral ; le vert clair distingue la future limite paroissiale entre SaintHilaire (qui dépend de Saint-Père) et Saint-André ; le fond de carte est issu de (Lecroère, 2016, planche 10).
Karl Ferdinand Werner dans sa volonté de faire rentrer au chausse-pied sa conclusion erronée va, encore
ici, mal interpréter les sources. Prenant d’abord la Chronique de Nantes, il estime avec raison, que l’afflux
de subsides pour construire ou renforcer les trois tours maîtresses s’échelonne de 952 à 958. Il privilégie
suivant sa théorie un « après 956 ». Ce faisant, il néglige la durée de telles constructions. De plus cela ne
démontre pas que des premiers travaux (et pour Chartres une première installation) se soient déroulé
avant 952. Il continue sa démonstration en citant un autre passage181 du cartulaire de Saint-Père (p. 28-30)
qui parle de restitutions de terres à l’abbaye Saint-Père daté de circa 954. Il stipule avec aplomb que la tour
n’étant pas citée, elle n’existait alors pas. On rétorquera que le passage fait référence à des terres en deçà
de la porte Cendreuse et de la muraille, donc au sud de la nouvelle fortification. On ajoutera qu’à la page
suivante (p. 31) du même texte, on parle bien du comte et de sa tour. Enfin, comme le dit l’historien
allemand qui n’est pas à une contradiction près, l’acte parle de biens restitués et non pas de dotations
initiales. Comme dirait l’adage, à trop vouloir démontrer on ne démontre plus rien.
Après l’installation des comtes Thibaldiens, l’évêque conservera des prérogatives (très amoindries) sur une
partie des murailles et sur les prélèvements des marchés182. Ici encore rien de binaire dans la possession du
res de comitatu, mais un fractionnement toujours plus poussé des droits.
181
182
C. St-Père, p. 28-31.
Guyotjeannin, 1992, p. 156.
44
Numismatique tourangelle : pour comprendre l’histoire de la monnaie thibaldienne, remontons à la
Touraine Robertienne du début du Xe siècle où apparait un type original de deniers à la tête carolingiens. Ce
sont des monnaies constantiniennes183 qui ont inspiré les graveurs travaillant pour Saint-Martin de Tours
vers 919 et pour Chinon à la même époque. Ces monnaies ne mentionnaient pas le nom du roi.
Ce nouveau type est à rapprocher du transfert des reliques de Saint-Martin184 et de la reconstruction de la
basilique qui auraient alors eu lieu. C’est aussi par l’anonymat – encore rarissime - une volonté de Robert
de prendre ses distances par rapport à Charles le Simple. La référence antique rappelle le rôle du saint
patron des Gaules, tout comme elle peut rappeler que c’est ici même que Clovis reçut de l’empereur
Anastase les insignes consulaires, dont un diadème. En revanche, il n’est pas inutile de rappeler que
Thibaud l’Ancien en tant que vicomte n’eut aucun rôle dans ces choix. Lui et son fils seront toutefois
témoins de la circulation de ce monnayage avant qu’il ne dégénère.
Le type anonyme bléso-chartrain : à Blois, nous avons avant 944185, un changement radical dans le type
monétaire blésois. Le droit des pièces est privé d’inscription royal. Il porte désormais une tête stylisée sans
légende. Cette représentation rappelle les émissions de Chinon et de Tours du début du siècle.
Le monnayage se répand dans d’autres secteurs neustriens : Vendôme, Nogent-le-Roi, Chartres et
Châteaudun. Pour ces deux derniers ateliers et pour Blois le type évolue en quelque chose de plus abstrait
encore, la gravure de la tête humaine devient désarticulée186 se rapprochant des monnaies gauloises.
Dans notre cas, c’est bien la contre-marche qui se singularise ainsi par opposition à la marche normande.
Toutefois Blois-Chartres n’est pas une part de regnum cédé par le roi, c’est un grand comté construit par le
dux Francorum. Pour ces raisons Thibaud Ier n’est pas tenu de citer le nom du roi mais il n’apposera pas non
plus son propre nom, contrairement au jarl Richard Ier par exemple. Le comté de Vendôme qui est
Robertien sans être sous la coupe thibaldienne se joint à cette symbolique.
Photos : tout comme la monnaie gauloise carnute à gauche, les deux monnaies de type bléso-chartrain au
centre se distinguent187 par un jeu de lignes du visage géométrique ; la disparition de l’arrière du crâne ; et
la multiplication des globules. À droite, une des formes les plus abstraite de ce style.
Le processus d’abstraction en regard du modèle tourangeau est exceptionnel, il peut résulter de cette
gouvernance bicéphale (duc et roi), mais qui à force d’absence de références devient acéphale.
Quant à la source d’inspiration, elle n’est pas du côté de Byzance, elle peut facilement provenir d’une
trouvaille de monnaies carnutes. Comte et duc auront voulu marquer la spécificité historique et
géographique de la contre-marche.
183
Dumas, 1977, p. 152.
Dumas, 1971, p. 194.
185 Blois, 2000, p. 69 (abstraction faite du rappel historique confus).
186 Blois, 2000, p. 70.
187 Dumas, 1971, p. 198.
184
45
Dans le Sénonais : Françoise Dumas188 dans son ouvrage de référence nous fait part d’une bien intrigante
question. Une monnaie du Trésor de Fécamp issue de Provins présente un monogramme odonien (au plus
tard du milieu du Xe siècle) qui n’apparaît nulle part ailleurs dans la province de Sens. L’auteure s’étonne
car ce type – qui précède la tête bléso-chartraine - ne se rencontre que sur les terres du comte de Chartres.
Cette surprise de la numismate vient du fait qu’elle a pris pour argent comptant, comme Michel Bur,
l’étude peu fiable d’Arbois de Jubainville sur la prétendue présence herbertienne à Provins. La doxa
wernerienne influencera ensuite les articles fondamentaux de cette archiviste-paléographe.
Ce qui nous amène à interpeler le lecteur sur deux choses essentielles à nos yeux :
• Nous trouvons ici une preuve supplémentaire qui confirme que Provins est une terre thibaldienne à
une période qui précède le second mariage de Thibaud le Tricheur ;
• Malgré cette preuve flagrante qui associe les Thibaldiens et le nord Sénonais, on retrouve le poids
exagéré que prend l’historiographie par rapport aux méthodes fondamentales scientifiques.
Diplomatie thibaldienne de 940 à 956 au sud de la Seine
En 940, à la mort de Thibaud l’Ancien, la garde et l’administration des pagi de Melun et de Provins se
posent à nouveau. Melun est devenu une étape stratégique entre les centres de pouvoir robertiens
(Orléans et Paris) et la Bourgogne sous leur influence (Sens et Auxerre) et où Hugues le Grand s’impose non
sans mal comme nouvel intermédiaire hiérarchique189 entre le roi et un duc bourguignon amoindri (Hugues
le Noir, dernier fils vivant de Richard le Justicier).
En tout cas le Robertien semble garder la main à Melun et Thibaud Ier se contentera de Provins. Cet accord
d’ailleurs s’inscrit au moment où Hugues le Grand soutient son fidèle à Chartres. 940 serait alors la
première année où nous devinons un type d’accord qui sera amené à se reproduire entre les deux parties
et où entrent en jeu des mécanismes de compensation. Cependant les Thibaldiens garderont en mémoire
cette légitimité190 qu’ils ont eu en Melunais.
Reste la présence en Provinois qu’il faut consolider, c’est ici qu’intervient entre les années 940 et 950
l’union entre Hildegarde, née du premier lit du Tricator, et Bouchard de Bray. C’est un mariage
relativement isogamique puisque ce dernier appartient à la puissante parentèle des Aubry-GautierBouchard très influente en Sénonais, où elle installa deux archevêques sur son siège. Néanmoins la
fortification de Bray érigée par un Bouchard, peut-être au détriment de Jaulnes, provoquera un conflit avec
Boson raptor (stemma n°1), qui est dépendant quelque part de la protection des Thibaldiens191 depuis le
transfert de l’autorité locale de Richard à sa sœur Richilde. Ce qui mettra le clan bléso-chartrain devant un
choix cornélien. Rappelons au passage que Thibaud puis son fils Eudes vont prendre sous leur aile d’autres
familles que les Garnériens dans la région ; ainsi des Waldric comme à Saint-Florentin192 ; ainsi de certains
rameaux Milonides – ceux qui ne feront pas la souche des futurs comtes de Tonnerre – qu’on retrouvera
sur la193 Marne. Sans pour autant que soit envisagé ici un redoublement d’alliance. Les néo-Milonides du
fait de leur rang social et de leur ancrage en Bourgogne centrale ne peuvent faire l’objet d’un tel projet.
188
Dumas, 1971, p. 164.
Bijard, 2021, p.23-24.
190 Outre la légitimité bosonide via Richilde, les Thibaldiens via les Hugonides orientaux pourraient se réclamer de Donat de Melun
(Doumerc, 2020, p. 530 et sq.)
191 Analysé aussi dans (Thuillot, 2019, p. 284), qui est un des rares à avoir fait le rapprochement entre Richilde et les Bosonides
Garnériens. Le cas de Bray est une énième preuve à verser au dossier.
192 Bur, 1977, p. 238-239.
193 Bijard, 2020, p. 16-17.
189
46
Pour la suite des événements autour de Bray-sur-Seine, nous renvoyons à un précédent article. On notera
la présence du frère utérin d’Hildegarde, Thibaud le Jeune, dans la création du prieuré de Saint-Sauveur-lèsBray. Ce qui signifie deux choses. Premièrement, celui qui mourra prématurément († 962) était au plus tard
en 958 (il a plus de vingt ans) en responsabilité dans un grand honneur de son père. Il est au moins à la tête
des castra du Provinois et c’est lui qui détachera des possessions du castrum des Cent-Ormes, la terre où
sera fondé le prieuré. Deuxièmement, c’est lui qui veille à l’intérêt de ses sœurs nées de leur mère
commune à une époque où Lietgarde de Vermandois a donné d’autres héritiers à Thibaud Ier.
Ceci nous amène à une autre union matrimoniale, qui jusqu’à aujourd’hui, est demeurée très mal
expliquée, sauf à alimenter les trop nombreux lieux communs concernant le dossier thibaldien.
Le seul texte qui en parle est la Chronique de Nantes194. Or cette source, nous rappelle Jean-Pierre
Brunterc’h195, contient des « affirmations sujettes à caution … il reste prudent d’utiliser cette source avec
parcimonie. » Et de constater que cela n’a pas toujours été le cas dans le mariage du duc de Bretagne Alain
Barbetorte avec la supposée sœur d’un Thibaud.
Toutefois, il n’y a pas de raison de rejeter sur le fond un tel projet d’union. On ne voit pas pourquoi les
auteurs de la Chronique de Nantes auraient imaginé un événement aussi important sans un minimum de
vérité. Les événements ultérieurs confirment l’apparition d’une relation entre les comtes de Blois-Chartres
et la Bretagne. Abordons le texte avec la prudence qui s’impose alors.
Après un passage concernant une invasion ottonienne du royaume occidental mélangeant des faits réels et
des invraisemblances – comme celle d’un combat singulier engageant Alain Barbetorte – on apprend que le
comte breton quitte le domaine royal en compagnie de « Thibaud comte de Blois ». Ce dernier passa un
accord avec le Breton scellé par le mariage d’une de ses sœurs. Celui-ci eut lieu au château de Blois. Plus
loin, on apprend que Alain tombe gravement malade et qu’il fit venir auprès de lui ses vassaux mais aussi
son beau-frère Thibaud, oncle d’un très jeune fils qu’il avait eu avec sa femme, nommé Drogo. Tous étaient
invités à faire de l’enfant l’héritier d’Alain. Le chapitre qui suit nous raconte qu’après la mort du prince
breton, Thibaud remaria sa sœur avec Foulques (le Bon), comte d’Anjou. Les deux comtes ligériens auraient
passé un accord stipulant qu’en attendant la majorité de Drogo, ils se partageaient la régence de la
Bretagne. Ce sont ces quelques années de corégence qui ont ainsi permis à Thibaud de tirer des revenus
complémentaires permettant les ambitieux travaux sur ses « donjons ». Toutefois, l’enfant n’atteint pas sa
majorité et mourut prématurément dans des circonstances que la Chronique se plait à affabuler. Cet
ouvrage se poursuit avec les troubles qui ont accompagnés ces années-là (courant des années 950) dont les
raids commandités par les Normands de la Seine sur la côte Bretonne.
Venons-en à l’interprétation habituelle de ce passage : une sœur de Thibaud le Tricheur aurait épousé Alain
Barbetorte. Mais une telle affirmation engendre de multiples incohérences.
•
•
Incohérence sociale : un comte de Rennes qui se pose en restaurateur du ducatus voire du regnum
breton à son profit peut difficilement épouser la fille d’un simple vicomte, celui de Tours. Si on ne
peut exclure un mariage hypogamique compensé par des motifs politiques, il ne peut y avoir plus
d’une « division d’écart » entre les deux protagonistes ;
Incohérence chronologique : l’interprétation habituelle situe ce mariage autour de 948, soit
quelques années avant la mort d’Alain († 952). Ce qui semble une bonne estimation vue que veuve
elle n’a qu’un seul fils encore en bas âge. Si cette épouse thibaldienne est fille de Thibaud l’Ancien
194
Chr. Nantes, p. 101 et sq.
J.-P. Brunterc'h, « Le diocèse de Nantes entre 936 et 1049 », Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne, t.
LXI, 1984, p. 29-30.
195
47
•
•
et même si on la fait naître un certain temps après son frère – disons vers 920 – elle est déjà très
âgée pour un tel mariage. Or si cette union à caractère politique avait parmi ses desseins de donner
un héritier légitime à Alain qui n’en a pas encore, c’est là un pari hautement risqué. Ou bien
l’épouse a déjà été mariée et a prouvé sa fécondité (ce n’est a priori pas le cas), ou alors, comme
c’est l’habitude pour l’époque elle a moins de vingt ans et est en bonne santé ;
Incohérence onomastique : si on se fie à la Chronique, et ici il n’y aucune raison de ne pas le faire,
le jeune fils d’Alain se nomme Drogo. Ce nom ne se trouve ni dans la famille d’Alain, ni dans celle
de Thibaud et de Richilde. C’est un vieux nom carolingien, on le retrouve (stemma n°2) plus tard
chez les Rorgonides où ils s’implantera du côté des Amiens-Vexin ;
Incohérence socio-familiale : lorsque comme la comtesse de Rennes, une veuve se retrouve seule
avec un jeune enfant, son objectif sera souvent un remariage qui défende les intérêts de son
héritier. Ainsi Adélaïde de Vienne et de Chalon avec Geoffroy d’Anjou, sans faire apparemment
intervenir sa fratrie. De plus nul avunculat196 ne semble être identifiable de la part de Thibaud le
Tricheur envers Drogo. Ce dernier de santé fragile est encore trop jeune et pour avoir été éduqué
par un oncle, ce que d’ailleurs ne précise guère la Chronique de Nantes.
Ces réserves, surtout les trois premières, rendent rédhibitoires un scénario faisant d’Alain un beau-frère du
Tricheur. Mais comme nous avons admis un fond de vérité à cette histoire, il faut proposer une alternative
où sera corrigée de façon raisonnable la Chronique.
Comme pour Hildegarde, Thibaud le Jeune a pu être évoqué dans ce récit. Cependant il est probable qu’il y
ait eu ensuite confusion entre lui et son père. Aussi notre proposition est de faire tout simplement de
l’épouse d’Alain une sœur utérine de Thibaud le Jeune.
•
•
•
•
Ce mariage reste hypogamique mais de façon beaucoup plus atténuée étant donné le milieu comtal
des deux beaux-parents d’Alain – les comtes d’Amiens-Vexin d’une part et le nouveau rang social et
politique acquis par le Tricheur d’autre part ;
Aussi l’épouse d’Alain a pu naître aux débuts des années 930 et avoir l’âge idoine – à l’époque pour se marier autour de 948 ;
Drogo est nom que les Rorgonides d’Amiens ont pu transmettre (voir stemma n°2) ; pour Alain il
renvoie aux Carolingiens mais a peut-être une autre signification qui nous échappe encore ;
En 952, la fille de Thibaud Ier a 20 ans à peine. Avec son très jeune fils, elle est dans doute esseulée
au sein de la curia bretonne où elle n’a pas se bâtir un réseau puissant. Son père peut alors faire
preuve d’interventionnisme en tant que « chef de famille » et meilleur défenseur des intérêts de
Drogo. L’habileté ou la rouerie politique du Tricheur viendra quand il saura imposer une corégence
à la Bretagne face à un comte d’Anjou qui aurait pu prétendre assumer seul ce rôle.
Quel est d’ailleurs le contexte politique vers 948 ? Thibaud n’est qu’un « grand comte » mais est au faîte de
sa puissance. Il tient notamment la contre-marche face aux Normands. Mais le comte de Rouen et jarl des
Normands de la Seine est encore mineur politiquement (voir aussi l’annexe II). En attendant le dux
Francorum s’est attaché la fidélité d’Harald et exerce une influence en Bessin-Cotentin. Il est en mesure de
détenir la tuitio et l’amiticia que les marquis normands possédaient sur la Bretagne. Enfin Hugues le Grand
a souvent été un soutien d’Alain Barbetorte. Ici comme pour le reste des affaires de Neustrie, Thibaud Ier
apparaît comme le fidèle rouage de la politique Robertienne qui profite d’une période transitoire en
Normandie pour – en contournant celle-ci – renforcer des liens avec les princes Bretons. Désormais la
196
Ajoutons que l’avunculat est la conséquence d’un mariage hypergamique et non hypogamique comme celui d’Alain.
48
contre-marche thibaldienne a, comme la marche normande, un œil sur le péninsule Bretonne. L’arrivée de
l’Angevin après 952 dans la partie, ne fait que consolider cette politique robertienne. Mais elle la
complexifie. Ce sont là les germes de futurs conflits à géométrie variable entre ces cinq parties prenantes.
Dans le partage des zones d’autorité entre Foulques le Bon et Thibaud Ier, le premier a choisi Nantes, ville
régulièrement convoitée par les Ingelgeriens. Le second s’est réservé les régions de Dol et de Rennes ce qui
est conforme à sa mission d’endiguement de la marche Rollonide (carte n°3). Dans les rapports entre
Thibaud et les comtes locaux de Rennes197, on retrouve divers mécanismes à l’œuvre, dont celui d’une
suzeraineté-protection couplée à une participation au commandement militaire Thibaldien.
Pour en revenir à la Chronique de Nantes ; il n’est pas anodin que Blois soit choisi comme lieu de l’accord
matrimonial. Dans les années 940, c’était bien le centre de la puissance thibaldienne même si elle s’est
étendue à Chartres et plus au nord encore. De plus la date moyenne de 948 coïncide avec les grands
travaux en cours relevés par les fouilles198 sur le site castral.
Ce qui nous amène à observer les autres évolutions au sein de la construction politique de Thibaud l’Ancien
dont a hérité son fils. En commençant par le noyau historique, la Touraine.
Saint-Martin reste une enclave Robertienne199, le rôle des Thibaldiens n’y semble pas évoluer. Pour les
autres monastères qui impliquent ces deux Sippen, Saint-Florent de Saumur puis Marmoutier200, on note un
réel recul de la présence du Robertien Hugues le Grand. Nous remarquerons plus loin que ces deux
établissements vont s’implanter dans la péninsule bretonne en harmonie avec les intérêts thibaldiens.
Auparavant, en tant que comtes au pouvoir élargi, ces derniers avaient probablement la possibilité de lever
la militia attachée à la défense de ces deux abbayes.
Saumur, à l’instar de Chinon, est devenue une vicairie châtelaine201 ou encore le lieu d’exercice de la justice
laïque. Néanmoins les Thibaldiens doivent en parallèle protéger et même reconstituer les biens de l’abbaye
de Saint-Florent. On rappellera que le Saumurois thibaldien et même les terres ligériennes de Saint-Florent
proviennent de la répartition des honneurs choisie par les Robertiens. Rien n’est issu de rivalités avec les
Ingelgeriens. Mieux, le mariage après 952 entre Foulques et la fille de Thibaud Ier – veuve d’Alain - sonne
comme un redoublement d’alliance au sein des deux lignées d’un même réseau du début du siècle.
L’évolution de l’implantation thibaldienne en Berry apporte également un éclairage sur l’histoire de cette
communauté monastique avec deux jalons importants. Le commandement militaire des années 920
s’étend jusqu’à Saint-Gondon où sont installés alors le chef de la communauté et des moines qui se
considèrent toujours en « pérégrination ». Le second est en 955, où peu avant de mourir, Hugues le Grand
avait aidé, Richard, frère de Thibaud à s’installer sur le siège archiépiscopal de Bourges. Cela va ajouter une
autre dimension à l’influence Thibaldienne en Berry mais aussi cela ouvre celle-ci aux régions du Midi.
197
Chr. Nantes, p. 113.
Blois, 2000.
199 Ottaway, 1990.
200 Noizet, 2007, p. 28.
201 Le castrum précède l’installation d’une communauté monastique – (Hamon, 1971) - cette thèse est confortée par le plaid de
Véron de 958 (Dom Morice, Preuves de l’histoire de Bretagne, 1, col. 346).
198
49
Rappelons que les moines de Saint-Florent du Mont-Glonne202 avaient fui, en emportant le corps de leur
saint patron et leurs chartes d'immunités ; ils se sont réfugiés, peu après 866, dans leur domaine de SaintGondon, situé près de Gien. Ils y résident encore vers 905 ; leur chef, Gautier, se décerne alors le titre
"d'abbé des monastères des bienheureux Jean, Florent et Gondon", mais203 la communauté est alors
réduite à neuf moines. On peut difficilement conjecturer de la suite, car la liste des abbés présente ensuite
une césure, cette période englobe les années 920. L’année 937, selon la "Chronique de Saint-Maixent",
serait un premier essai de retour précaire des moines à Saumur, peut-être à Saint-Hilaire des Grottes.
Enfin c’est le corps de saint Florent qui réapparaît dans le compte-rendu d'un plaid déjà évoqué, tenu en
Véron en septembre 958. Le corps semble avoir été transféré depuis les confins de l’Auvergne. Est présent
à ce plaid le comte d’Anjou Foulques le Bon dont le ressort encercle les terres de Saint-Florent.
Tentons de reconstituer les événements. L’arrivée de Thibaud l’Ancien jusqu’à Saint-Gondon marque le
terminus ad quem de son rôle d’avoué de la communauté sur la Loire. Son fils, pour consolider sa position à
Saumur, s’efforce à ce que le noyau dur de la communauté s’y installe. Peut-être l’abbé et ses acolytes
avaient une préférence pour le Mont-Glonne, mais ce secteur est trop excentré pour le thibaldien (carte
n°2) qui ne bénéficierait alors pas de la prestigieuse cohabitation avec les moines. L’arrivée des précieuses
reliques du saint permet l’achèvement dans cette construction saumuroise d’une abbaye qui sera nommée
Saint-Florent-du-Boële ou Saint-Florent-du-Château. L’archevêque Richard a pu intercéder pour ce transfert
depuis les confins de l’Auvergne. Demeure un sentiment de fragilité dans cette refondation mue par la
seule volonté d’un puissant laïc, et cette abbaye ne résistera pas – dans tous les sens du terme – aux
événements de 1026 et devra encore déménager.
Sur cette première période, nous n’avons pas évoqué les confins de la Bourgogne et de la Lotharingie
(Bolenois-Ornois-Perthois). Si les Thibaldiens n’y ont plus de charges publiques, les sources ténues
n’indiquent aucun lien (biens propres, réseaux personnels, …) avec ces régions. C’est la dernière phase de la
vie de Thibaud le Tricheur qui va nous apporter des éléments qui nous montrent clairement que tous les
liens n’ont pas été définitivement coupés.
202
203
Commune de Saint-Florent-le-Vieil/ Mauges-sur-Loire dans le Maine-et-Loire.
A.D.M.L., Livre d'Argent, n° 107. Neuf religieux signent un acte accordant une terre située dans la région de Doué.
50
La seconde phase de la vie de Thibaud le Tricheur
Cette période pourrait coïncider avec le dernier mariage du Tricator avec Lietgarde, fille du puissant comte
de Vermandois Herbert II, descendant204 des carolingiens.
Auparavant les rapports entre Thibaldiens et Herbertiens sont soit inexistants soit portent en eux des
prétextes à des conflits, de par les solidarités familiales en jeu. En 943, Raoul II d’Amiens, nepos possible du
Tricheur (voir stemma n°2), est assassiné par les enfants de Herbert II. En 927, Herbert II avait205, pour son
fils Eudes, contesté le comté de Laon à Roger II, cousin de Thibaud (voir annexe III).
Comme pour le premier mariage avec une héritière des Rorgonides, ce second mariage avec Lietgarde de
Vermandois, peut être interprété comme une volonté de pacification sur des querelles encore très récentes.
Toutefois cette union pour Hugues le Grand et son fidèle bras droit va être le levier de politiques encore plus
ambitieuses au nord de l’Oise et de l’Aisne.
Chez les Vermandois
Lietgarde avait d’abord été mariée avec le jarl Normand Guillaume Longue-Épée. On sait qu’elle devient
veuve en décembre 942, lorsque ce dernier fut assassiné à l’entrevue de Picquigny206 par des sbires du
comte des Flandres. Peu après, Herbert II meurt à son tour. Lietgarde est en mesure de se remarier mais la
priorité qui devient même une crise chez les Herbertiens est le partage de l’héritage du père.
Si on met à part, l’archevêque de Reims Hugues, Herbert II laisse quatre autres fils :
•
•
•
•
Eudes ou Odo († peu après 946), futur comte d'Amiens ;
Herbert dit le Vieux († circa 983/84), futur comte d'Omois ;
Robert Ier († après juin 966), futur comte de Meaux et comte de Troyes en 956 ;
Albert Ier († septembre 987), futur comte de Vermandois.
C’est alors qu’Hugues le Grand intervient en tant que beau-frère d’Herbert II et oncle agnatique de ses
neveux. Ce règlement de l’héritage herbertien ne sera finalisé qu’en 946 d’après Flodoard207. Cette longue
durée peut s’expliquer par plusieurs motifs : des désaccords au sein de la fratrie, un désaccord entre celleci et la solution que veut pousser Hugues le Grand, un désaccord du roi Louis IV lui-même avec la solution
du duc des Francs, et enfin le litige208 entre Louis IV et les Herbertiens à propos du siège de Reims.
Quelle place tient Thibaud Ier à l’amorce de ces événements ? Son rôle est secondaire à Picquigny malgré la
propagande de Raoul Glaber209, il suit le non-interventionnisme de son suzerain Hugues.
On ne sait d’ailleurs pas si sa situation personnelle lui permettait alors de se remarier.
Ce serait difficilement en 943 : Herbert II vient de mourir, Hugues le Grand va mettre du temps à s’imposer
en arbitre, et par ailleurs les fils d’Herbert II de Vermandois vont lutter contre Raoul II de Gouy qui finira par
trouver la mort (c’est le héros éponyme de la célèbre Chanson de Geste Raoul de Cambrai). Rappelons que
ce Raoul d’Amiens serait le neveu par alliance de Thibaud selon le stemma n°2.
204
Settipani, 1993, p. 222-227.
Flodoard, A, 927 et 938. L’explication de la légitimité de ces revendications herbertiennes sort du cadre du présent article.
206 Dudon, L. III, c. 35.
207 Flodoard, A, 946.
208 Sassier, 1993, p. 54.
209 Glaber, H, L. III c. 9.
205
51
C’est peut-être seulement en 944210 que Hugues et Thibaud vont obtenir l’accord de Lietgarde et des siens
pour cette union à enjeux. Avec dans un premier temps la volonté de cicatriser le conflit qui est né entre les
Vermandisiens et les Gouy en Amiénois.
Néanmoins le point d’achoppement entre les protagonistes ne réside pas dans ce mariage mais dans le
partage de l’héritage qui n’est toujours pas réglé, et pour cause, le duc des Francs voulant, faire de
Lietgarde une héritière à part entière. Rappelons qu’au milieu du Xe siècle nous ne sommes pas encore dans
un régime patrilinéaire uniforme avec primogéniture mâle. Toutefois le cas de la succession d’Herbert II
n’est pas le plus représentatif non plus. Il est possible que Hugues le Grand ici aussi ait profité du
flottement entre les quatre héritiers masculins pour faire avancer sa position.
La place inédite qu’endosse Lietgarde est encore plus flagrante quand on la compare à celle d’une de ses
sœurs connues. Ainsi Adèle de Vermandois qui épousa le comte d’Anjou Geoffroy Grisegonelle n’a qu’une
dot211 – qui paraît limitée même si nous n’en connaissons pas l’ampleur réelle.
Lietgarde avait eu aussi une dot pour son mariage avec Guillaume Longue-Épée. Elle pourrait être dans le
pagus du Madrie à proximité du diocèse d’Évreux mais elle ne devait être guère plus étendue que celle de
sa sœur. Le comte Normand lui adjoindra un douaire à proximité – toujours en Madrie mais sur des terres
désormais incorporées à la principauté normande.
En revanche ce que Lietgarde apporte à son couple avec Thibaud à la suite du partage définitif de l’héritage
de son père212 est autrement plus conséquent :
Enfant d’Herbert II
Eudes
Herbert dit le Vieux
Robert Ier
Albert Ier
Lietgarde
Part reçue
Au moins le comté d’Amiens et le castrum d’Ham :
cependant celui qui semble être l’aîné disparaît dès
946. Cela a pu simplifier la finalisation du partage.
Amiens quitte ensuite l’orbite Herbertienne.
Comté d’Omois (Château-Thierry), abbaye de
Saint-Médard de Soissons.
Comté de Meaux (celui de Troyes viendra plus tard
par mariage), abbaye de Lagny-sur-Marne.
Comté de Vermandois, abbaye de Saint-Quentin.
Comté de Beauvais, suzeraineté en Vexin sud et en
Madrie nord (cœur du vieux bénéfice Nibelungide).
La part de Lietgarde concerne les honores herbertiens qui jouxtent le comté de Rouen. Le même motif se
répète depuis 940 : renforcer une contre-marche qui puisse endiguer les Normands de la Seine.
Il est important de noter à ce stade que le comté de Laon fut ces dernières décennies l’objet d’une rivalité
entre Herbertiens213 et Hugonides orientaux. À cela s’ajoute la volonté de la royauté de faire de cette ville
une sedes regali et donc de diluer ou de faire disparaître en Laonnois cette fonction comtale, comme le
font les autres grands princes territoriaux dans leurs cités principales. En faisant le nécessaire pour
transmettre214 cet honneur à Thibaud, Hugues le Grand faisait valoir sa patente double-légitimité à le
Thibaud Ier doit avoir un peu moins de 30 ans. Il a déjà au moins un fils. Il n’y a donc aucune « pression » de son côté.
Il y a le domaine d’Hondainville en Beauvaisis, cf. Bur, 1977, p. 89.
212 D’après (Bur, 1977, p. 97-99), amendé pour la part de Lietgarde.
213 Voir supra note 205.
214 Flodoard, A, 946.
210
211
52
récupérer : Lietgarde est une sœur d’Eudes d’Amiens mais surtout Thibaud est un proche cousin des
Hugonides orientaux. Cela a pu ébranler la position de Louis IV mais pas sa détermination. Cela va aussi
renouer les relations entre Thibaldiens et Hugonides.
La dot de Lietgarde autour de la Seine s’élargit en un véritable res de vicecomitatu (voir le cas de Meulan
infra), elle conserve son douaire normand qui lui est contigu. Avec son second mariage, elle acquiert - ce
qui devient une habitude douairière215 des épouses des Thibaldiens, des biens en Provinois.
En 945, le mariage est consommé car on voit Thibaud avec ses beaux-frères assiéger Montigny216. Surtout
nous voyons cette même année Thibaud avoir la garde du roi Louis IV après que celui-ci a été fait prisonnier
par les Normands.
Après 946, Thibaud doit être considérer comme un Herbertien217 au même titre que les autres membres de
cette fratrie encore en vie. Sa position comme sa personnalité vont progressivement lui octroyer une sorte
de leadership au sein de celle-ci.
Louis IV et la Normandie
En 943, alors que Richard fils de Guillaume-Longue-Épée est encore mineur, Hugues le Grand intervient lors
de troubles à Évreux. Certains habitants de la cité se tournent naturellement vers le marquis de Neustrie
qui s’en empare. Toutefois l’Évrecin faisant partie de la marche initiale des Normands (depuis 911/13), il
restitue ensuite formellement la ville d’Évreux au roi.
D’un autre côté, le duc semble avoir reçu de Louis IV un blanc-seing pour intervenir à l’ouest de la Dives,
dans les régions moins maîtrisées des Normands de la Seine – dans la vieille marche Unrochide (voir carte
n°3). Finalement nous assistons à une sorte de partage des terres plus ou moins conquises par la culture
norroise, entre le roi et le duc, pour en assurer la protection durant la minorité de Richard. Au carolingien,
les terres cédées lors du traité de Saint-Clair-sur-Epte, au robertien le Bessin et ses périphéries. Nulle
mention de Thibaud, administrateur de la contre-marche, lors de ces campagnes de 943/44, ces terres
reviendront au futur jarl Richard Ier, le duc Hugues veut simplement profiter de cette régence.
La discorde218 ne tarde pas à intervenir entre le roi et le duc. La politique de Louis IV se termine par un
échec, il est capturé près de la Dives par Hasting et les siens. C’est le chef scandinave qui agit entre Bessin
et Cotentin et dont Hugues le Grand s’est assuré la fidélité (cf. annexe II). Le duc récupère le roi et luimême le fait garder par Thibaud, comte de Blois et de Chartres, alors marié avec Lietgarde.
On peut se poser la question de cette responsabilité de gardien. Dire que le Tricheur est le bras droit et
fidèle du duc ne justifie pas pleinement ce geste. Et en effet, il possède bien d’autres niveaux de lecture :
•
•
•
Thibaud Ier peut défendre les intérêts de la veuve douairière Lietgarde face aux élites de Normandie
puisque le jeune Richard n’est pas son fils ;
En tant que néo-Herbertien, Thibaud hérite de la fonction de geôlier des rois qu’avait détenu
Herbert II lorsqu’il maintenait en captivité Charles le Simple ;
Mais le premier argument, c’est Flodoard qui nous le suggère, c’est pour mettre pression sur le
carolingien pour entériner la dernière version du partage des héritages herbertiens et hugonides
215
Voir Bur, 977, p. 99, note 50.
Flodoard, A, 945. Commune de Montigny-Lengrain (Aisne) ; domaine dépendant de l’abbatiat laïc de Saint-Crépin de Soissons.
217 Dans un acte de juin 946 (C. N-D Chartres, n°7), il souscrit juste après ses « frères » mais est encore en retrait.
218 Bauduin, 2004, p. 165
216
53
avec le dossier brûlant de Laon. Il a pu aussi en profiter pour faire avaliser la prise de fonction
comtale à Beauvais et même à Chartres – ce différend est encore récent.
En 946, le roi Louis IV est libre et Thibaud Ier occupe Laon. Le comte blésois a encore augmenté sa
puissance. Au nord de la Seine, il reste encore le fidèle d’Hugues le Grand. Toutefois ici le dux Francorum
n’est qu’un Grand du royaume qui supplée le roi en cas d’absence ou de manquement. Il n’est pas marchio
comme en Neustrie. Comme à Rouen, en Flandres ou en Vermandois, il ne s’interpose pas entre le pouvoir
comtal et la couronne. La récupération du comitatus Laonnais par Thibaud crée un lien direct entre celui-ci
et le roi pour cette juridiction. Cette porte d’accès direct à la cour carolingienne entraînera des
répercussions après la mort du duc.
Hugonides et nouveaux espaces de rayonnement du Thibaldien
À ce stade il est important de revenir sur la trajectoire des Hugonides orientaux que nous avions laissé en
926, date de la mort de Roger Ier de Laon et du Bolenois.
En 927 Flodoard219 nous dit : il s'éleva une querelle entre le roi Raoul et le comte Herbert II pour le comté
de Laon, qu'Herbert désirait pour son fils Eudes et que le roi avait accordé à Roger II, fils de Roger Ier. Raoul
qui a prévenu toute tentative Herbert II d’entrer à Laon, retourna en Bourgogne et laissa les fils de Roger Ier
avec sa femme Emma à la garde de la ville de Laon.
➢ Ce soutien du roi bivinide et du duc aux Hugonides est à mettre en parallèle avec celui que vient de
recevoir leurs cousins Thibaldiens en Berry.
Pour la décennie qui suit Roger II apparait comme seul comte à Laon. Après l’installation du roi Louis IV
dans la région les difficultés se succèdent pour le Hugonide. En 938, Roger II de Laon, est bousculé en tant
qu’abbé laïc de Saint-Amand par le roi Louis IV220. Puis il est contraint de rendre le domaine fiscal de Tusey
(appartenant à la mense de Notre-Dame de Laon), proche des siens en Ornois.
➢ Cette méfiance du roi carolingien avec Roger est à mettre en parallèle avec les tensions apparues
en Chartrain avec son cousin Thibaud, le bras droit de Hugues le Grand.
Comme à Chartres, la crise avec Louis IV culmine autour de 940. Roger II accompagne Hugues le Grand et
Herbert II pour s’emparer de Reims et y réinstaller l’herbertien Hugues. Le comte les suit à Attigny. Il y
prête hommage à Otton Ier pour ses terres lotharingiennes221. Durant cette même période de bonne
entente avec le roi de Germanie, il restitue à l’évêque de Toul Gauzlin la villa Amboldi222 toujours en Ornois.
➢ Les événements de 938 et 940 confirment de façon nette que l’Ornois septentrional est inclus dans
les bénéfices héréditaires de Roger II. C’était un pagus appartenant au proto-Thibaldiens.
En 941223 le roi Louis se rendit en Bourgogne, et apprit que le comte Roger II avait campé près de lui ; il
marcha contre lui, le prit sur la Marne avec ceux qui l'accompagnaient et les emmena en Bourgogne. Le
219
Flodoard, A, 927.
Cat. Louis IV, n°IV.
221 Doumerc, 2020, p. 535 d’après Chaume.
222 MGH SS VII, p. 640 ; Amboldi villa à rapprocher d’Ambleuvelle ou d’Abainville près de Gondrecourt-le-Château (Meuse).
223 Flodoard, A, 941.
220
54
comte Roger, après avoir donné des otages, fut relâché par le roi. Le roi Louis IV retourna en Bourgogne,
réconcilia le comte Roger II avec Hugues le Noir et il fit la paix avec Gislebert. Il donna ce comté (de Laon) à
Roger II. Le roi ayant ensuite appris que le duc Hugues le Blanc (le Grand) se hâtait pour assiéger Laon, il
revient avec l'évêque Artaud et le comte Roger. Tandis qu'il séjournait aux environs de Vitry, Hugues et
Herbert II assiégèrent Laon ; le roi prit avec lui tout ce qu'il put rassembler d'hommes et marcha dans le
Porcien ; lorsque Hugues et Herbert surent qu'il approchait, ils laissèrent là le siège, allèrent contre lui,
attaquèrent à l'improviste son armée, en tuèrent beaucoup et mirent le reste en fuite ; le roi, séparé des
siens avec peu de monde, s'enfuit avec peine, accompagné de l'évêque Artaud et du comte Roger II.
➢ Ces extraits de Flodoard nous indiquent, lors de sa capture, que des ressources de Roger II sont
proches de la haute Marne (Perthois, Bolenois). C’est un personnage clef de la Bourgogne du nord
qui doit se réconcilier avec le marquis Hugues le Noir. Partant de Vitry – donc quittant le Perthois
d’influence Hugonide pour entrer dans celui des Herbertiens (carte n°1) – Roger II et le roi ne
prennent pas la route la plus directe mais passe par le Porcien où le comte aurait aussi des
ressources. Enfin, le revirement d’alliance du Hugonide oblige Hugues le Grand à assiéger Laon avec
Herbert II. Roger II et son cousin Thibaud Ier ne sont plus dans le même système d’alliances.
De 941 à sa mort en 942, Roger II est un fidèle précieux pour Louis IV. Il a récupéré son comté mais il a
surtout, tel son ancêtre Harduinide, un poste ce conseiller aulique224. Il accompagne le roi dans les espaces
Bourguignons et jusqu’en Aquitaine. Roger II meurt même lors en s'acquittant d’une dernière mission
royale auprès de Guillaume225, prince des Normands, à Rouen.
➢ Pour des raisons évidentes Louis IV ne se presse pas de donner un nouveau comte à sa ville de
Laon. D’autant plus que les enfants de Roger II sont encore trop jeunes.
Forts de ce rappel, nous pouvons donner une nouvelle lecture des événements de 944/46 à Laon. C’est
bien en tant que cousin majeur et apte (a priori de degré 2:3) de Roger II, que Thibaud Ier, soutenu par le
duc Hugues, revendique le comté de Laon.
Ce qui reste du res de comitatu se compose d’une partie de l’enceinte de Laon ; des fortifications de
Pierrepont et de Montaigu. Pour ce dernier site, Flodoard226 dira même Tetbaldo de Monteacuto. Le
surnom toponymique est rare. Il n’est pas utilisé par l’annaliste pour un simple lieu de bivouac. Il révèle un
lien juridique fort entre le lieu et la personne.
Il n’y a pas alors de grands abbatiats laïcs associé à cet honneur. L’abbaye royale Saint-Jean est contrôlé par
le carolingien et sert de douaire aux dernières reines carolingiennes.
Herbertiens et nouveaux espaces de rayonnement du Thibaldien
Dans le prolongement de sa fonction comtale, Thibaud s’est imposé par endroit comme le défenseur de
l’Église de Laon. Ainsi à La Fère qui a sans doute sous été convoitée dès Herbert II, car située sur l’axe de
communication entre Saint-Quentin (Vermand) et Laon.
La fratrie herbertienne avec l’un des siens sur le siège de Reims a aussi acquis, souvent de façon
contestable, divers biens dans la province ecclésiastique rémoise. Herbert II puis Thibaud Ier s’imposent non
224
Cat. Louis IV, actes n°16 à 19.
Flodoard, A, 942.
226 Flodoard, A, 947.
225
55
sans péripétie comme gouverneur de la place forte de Coucy. Située aux confins du Vermandois, du
Soissonnais et du Laonnois son emplacement est particulièrement intéressant. C’est en fait un bien de
l’abbaye Saint-Remi de Reims mais qui fait alors partie de la mense épiscopale rémoise.
Parmi les beaux-frères de Thibaud il en est un dont la politique et les intérêts vont rapidement être
communs avec ceux du Blésois, c’est Herbert le Vieux227. Son travail d’emprise sur la Marne est l’écho des
agissements de Thibaud Ier entre Aisne et Oise.
La politique d’expansion d’Herbert le Vieux plus à l’Est, notamment dans le hinterland de Châlons-surMarne, ne peut se comprendre sans l’alliance du Thibaldien. Notamment en Perthois où le herbertien
rencontre les terres Hugonides. Dans les années 950 avec l’arrivée du frère puîné Robert à Troyes, c’est la
forêt de Der qui devient le nouvel horizon de l’influence herbertienne. Placé à la confluence des régions
précités (voir cartes n°1 et 5), elle appartient aux moines de Montier-en-Der et va tomber sous la coupe
des descendants d’Herbert II.
Thibaud Ier est le médiateur idoine entre Herbert, Robert et les enfants de Roger II. Parmi eux, on sait que le
jeune Hugues a conservé le cœur de son domaine originel228 de Bourgogne septentrionale. Il a sans doute
un frère Roger (III) qui fit souche au nord de Reims : de l’abbaye Saint-Thierry jusqu’en Porcien. Quant à
Hugues, son rayon d’action va de Reims - il se fera inhumer à Saint-Remi – au Bolenois et à l’Ornois de
Thietmar. Il maintient d’excellentes relations avec la royauté sans recouvrer le titre comtal à Laon ni le rôle
de conseiller privilégié du roi. La mère de ce Hugues et de Roger III serait une fille de Hugues de
Chaumontois229, sœur du futur archevêque de Reims Odalric.
En 949, Thibaud Ier perd Laon face à un Louis IV déterminé.
Au début des années 950, son beau-frère Herbert le Vieux, comme par compensation, organise le rapt de la
reine-mère Ogive (Edwige) puis l’épouse. Cela lui permet de contrôler les terres douairières de l’abbaye
Notre-Dame de Laon dont une partie est en Ornois (Tusey et Gondrecourt230). Au moins pour un temps, car
Louis IV ripostera ici aussi.
Parlons des honneurs herbertiens acquis par Thibaud Ier grâce à son mariage. Il a mis la main sur le
comitatus de Beauvais que Herbert II avait pu récupérer lui-même de son parent Bernard231. Cette
suzeraineté s’étalait sur deux pagi : Beauvais et Vendeuil.
L’autre héritage de Lietgarde est tout aussi intéressant. Les Herbertiens dans leur politique de récupération
des biens Nibelungides au début du Xe siècle se sont implantés dans une partie du Madrie, et même au sud
du Vexin232. L’histoire de ces deux circonscriptions administratives est difficile à suivre. Elles ont été
éclatées en 911/13 avec le Traité de Saint-Clair-sur-Epte. Les parties qui n’ont pas été confiées à Rollon ne
sont pas revenus dans les mains d’un ou deux magnats de façon homogène. Ainsi les Robertiens
récupérèrent une bonne partie du Madrie non-normand. Pour le Vexin, la famille des Amiens n’y exerce pas
une domination complète. À la jonction des deux, Meulan occupe une place particulière. Déjà à l’époque
gauloise, l’île de Meulan, était une tête de pont, au sens propre, des Carnutes face aux Véliocasses. C’était
le point passage sur la Seine de l’antique route de Chartres ou Orléans à Beauvais. La grande île de Meulan
Parfois appelé Herbert III, cependant il n’a pas récupéré le Vermandois.
Et non du chef de sa mère comme l’avance sans preuve Chaume, suivi par Bur et de nombreux autres.
229 Voir Mathieu, 1999, p. 61. Mais l’Ornois du Nord ne fut pas acquis via ce mariage.
230 Bur, 1977, p. 103 et 111.
231 Labande, 1978, p. 11-12.
232 Ce qui ne veut pas dire qu’Herbert II fut comte de Vexin (ambivalence chez Grierson, 1939).
227
228
56
facilement fortifiable a toujours joué un rôle stratégique, en dernier lieu pour faire face aux raids vikings.
Les Nibelungides ont tenu cette place et ces pagi adjacents. Les Herbertiens comme descendants de cette
famille ont pu récupérer une partie de leurs honneurs. Avant sa mort Herbert II n’avait pas ici pas un rang
comtal. Mais sur ce détroit à cheval sur la Seine il y avait conservé des droits d’origine militaires issus des
Nibelungides. C’est une sorte de vicecomitatus particulier que recouvre Lietgarde. Ces bénéfices sont
encerclés par ceux des Normands, des Robertiens et surtout des comtes du Vexin.
On peut cerner cette domination herbertienne grâce aux donations de Lietgarde :
•
•
En Vexin, proche de la Seine : Juziers, Fontenay-Saint-Père, Issou, Limay, Frémainville ;
En Madrie du nord : Arnouville-lès-Mantes233.
Tout compte fait, ce n’est pas un hasard que le douaire que constitua le comte Guillaume-Longue-Épée
pour Lietgarde soit dans aussi en Madrie, devenu normand : Longueville près de Vernon au nord de l’ancien
Madrie et Coudres au sud face au Drouais.
En concentrant tout le sud-ouest de l’héritage herbertien dans les mains de Thibaud le Tricheur, Hugues le
Grand a poursuivi la construction de cette contre-marche qui encercle (carte n°3) de toute part la
principauté normande.
Hugues le Grand à son apogée (954-956)
À l’avènement de Lothaire, fils de Louis IV, Hugues le Grand profite de son ascendant sur ce prince encore
jeune pour acquérir un autre titre : duc d’Aquitaine234. Si son intervention dans ce « royaume » reste un
échec face aux comtes de Poitiers, il va renforcer son influence en Berry avec l’aide de ses fidèles alliés.
Laune, le dernier d’une série d’archevêques liés aux Déols meurt. Et Richard, frère de Thibaud est élevé sur
le siège berruyer. On ne sait rien du Berry thibaldien entre 935 et 955 qui fut probablement le théâtre de la
carrière politique de ce Richard qui apparaît tardivement dans les sources. En tout cas il est désormais le
mieux placé pour garantir la construction politique de 925. D’autant plus que certains lieux semblent être
restés pro-aquitains, rechignant à entrer dans le schéma du roi Raoul. C’est probablement le cas du
Sancerrois sur lequel nous reviendrons un peu plus loin. La dernière représentante de la lignée de
Sancerre/ Château-Gordon porte le nom rare de Mathilde. Quand ce nom ne reflète pas la royauté saxonne
il incarne cette moyenne aristocratie des marges ligériennes235 au sentiment aquitain marqué.
Nous avons vu que l’abbé de Saint-Florent et sa poignée d’acolyte avait été déplacés de Saint-Gondon à
Saint-Florent-du-Boële à Saumur. Le vide laissé dans ce premier lieu profite aux vassaux thibaldiens du
Berry. Les futurs Sully deviennent les protecteurs de Saint-Gondon ; quant aux moines du monastère de
Vierzon, leur sont confiés la mise en value de ces terres en censive. Ce qui engendrera un long procès236
dans la seconde moitié du XIe siècle où Saint-Florent voudra recouvrer ses droits ou plutôt une
compensation financière.
Par régression à partir du futur comté de Meulan, l’étendue du ban seigneurial en Madrie est plus large. Il semble que Lietgarde
ait privilégié les donations religieuses en Vexin, où l’assise du pouvoir herbertien est étroite.
234 Flodoard, A, 955.
235 Bijard, 2021, p. 92.
236 C. St-Gondon, actes IV à X.
233
57
Thibaud, avec l’aval du duc, fait de l’oppidum de Saumur un site bipolaire entre le château - comtal par
essence - et l’abbaye qui doit être protégée par délégation de droit régalien. Les moines s’y sentent à
l’étroit malgré le discours apologétique de façade. Le dispositif est donc structurellement fragile. À la
prochaine crise - elle aura lieu en 1026 avec la conquête de Saumur par le comte d’Anjou Foulques Nerra –
ce montage s’effondrera et les bénédictins iront un peu plus loin, de l’autre côté du Thouet.
C’est avant la mort du duc qu’il faut placer un premier enrichissement du temporel de Saint-Florent dans
des secteurs où l’archi-comte avait besoin de placer des pions. Cela est possible en Bretagne entre Rennes
et Dol – ainsi le futur prieuré de Livré-sur-Changeon237 était déjà lié à Saint-Florent au Xe siècle. Cela l’est
encore de manière plus assurée238 aux confins de la province de Chartres avec des biens de l’évêché de
Paris, comme à Chevreuse.
Quoiqu’il en soit même si le sens tactique du Tricheur est indéniable, tout cela se fit en parfaite légitimité
sous la houlette du duc. C’est l’occasion de reprocher à une histographie locale239 ses propos infondés
faisant état d’un Saumurois arraché au comte d’Anjou. Insistons. Les comtes de Blois et ceux d’Angers, très
proches depuis 907, seront en bon terme encore plusieurs années. Aucune source ne démontre le
contraire. Cette alliance se lézardera seulement à partir de 977, notamment en Bretagne, sous l’influence
du nouveau duc Hugues Capet.
Auparavant la construction de Hugues le Grand semble inébranlable. En Bretagne, la confusion née après la
mort de Drogo (sciemment entretenue) favorise une prolongation d’ingérence de l’Anjou (Nantes) et de
Blois (Rennes) dans les affaires internes bretonnes, pour le bénéfice de Hugues le Grand.
Lorsque le puissant duc meurt en juin 956, son fils, le futur Capet, est encore mineur politiquement. Le
choix d’une forme de régence240 de son duché – cette vice-royauté – sera la traduction naturelle des choix
délibérés du Robertien depuis plusieurs années. Il n’y a aucune surprise au fait que Thibaud soit un acteur
principal de cette régence. Le scénario qui se déroule désormais a été bien envisagé, programmé. Au sein
de la Neustrie et même au-delà, Thibaud Ier, le premier dans la hiérarchie parmi ses plus grands fidèles va
être à la tête d’une administration neustrienne pour continuer à traiter les affaires laïques et militaires241.
237
Guillotel, Hubert, Les Actes des ducs de Bretagne (944-1148), Thèse ms, Université de Paris, 1973, n° 3.
Bijard, 2020, p. 13.
239 À côté des érudits locaux du Saumurois, elle est née à Doué-la-Fontaine avec les fouilles du doyen Michel Boüard dans son
interprétation personnelle d’un incendie de la aula palatiale qu’il situe vers 930/40 : « De l'aula au donjon. Les fouilles de la motte
de La Chapelle, à Doué-la-Fontaine (Xe-XIe siècle) ». In : Archéologie médiévale, tome 3-4, 1973, p. 104-108.
240 Quasi-régence pour (Sassier, 2004, p. 60) dans son article qui reste influencé par K. F. Werner.
241 Cela n’inclut pas la tutelle du jeune Capet qui est confiée à sa mère Hedwige aidée de son frère Bruno de Cologne. De même
Thibaud n’a pas de légitimité à prolonger l’action du Robertien en Bourgogne, en Aquitaine ou dans les affaires de l’ Église.
238
58
Le satrape de Neustrie
Le fait que Thibaud le Tricator soit le premier des personnages qui administre l’héritage de Hugues le Grand
après son décès et en attendant la majorité de son fils est conforté par de nombreux éléments.
Il y a d’abord la position de Thibaud juste avant 956242 qui ressemble à celle de Gislebert en Bourgogne :
celui d’un administrateur d’un ducatus, sans pour autant porter le titre de dux243. Pour Thibaud c’est la
Neustrie et certains intérêts demeurant dans « l’Ile-de-France » carolingienne. La future gouvernance est
annoncée quelque part dans ce diplôme de Lothaire. Gislebert devait être l’équivalent de Thibaud pour la
Bourgogne en attendant la majorité de son gendre Otto, le fils cadet d’Hugues le Grand244.
Puis c’est la période (956-960) qu’Yves Sassier245 appelle la quasi-régence. Ces arguments restent des plus
pertinents même s’ils ne sont pas complètement développés pour les raisons évoquées plus haut sur la
prétendue usurpation. En voici un bref récapitulatif que nous avons complété :
•
•
•
•
•
Plaid de Tours en 957246 : Thibaud comes Turonis se pose représentant du dux Francorum en
Touraine, c’est en son nom247 et en son absence qu’il intervient dans les affaires du chapitre
martinien, c’est uniquement en 956-960 qu’il s’autorise le titre de comte tourangeau ;
Plaid de Véron en 958248 : avec Thibaud Ier et Foulques II. Le Tricator souscrit pour Saumur en
premier avec le qualificatif de nobilissimi249, est présente la noblesse bretonne soumise aux deux
comtes – Drogo étant décédé. Dans l’acte, les comtes Thibaud le Tricheur et Foulques le Bon
d’Angers se parent de la fonction de « gurbernatores atque administratores » de Neustrie ;
En 960 à Rivarennes250 à la veille de l’investiture de Hugues Capet, Thibaud Ier et son fils Thibaud le
Jeune sont entourés des grands feudataires de Neustrie, Geoffroy d’Anjou et Hugues II du Maine ;
L’influence en Bretagne des comtes d’Anjou et de Bois se maintient pendant toute la fin des années
950, avec une préséance pour le second ; pour la confirmation251 d’un vieil acte d’Alain Barbetorte
en Nantais on lit : « … ego Tetbaldus, nutu dei comes … Ego, Fulcun gratia Dei comes … » ;
La politique d’endiguement du jarl normand Richard Ier se poursuit, ce dernier envoyant des flottes
vikings piller la Bretagne doloise et nantaise252, ce qui finira par déboucher sur un conflit.
Lorsque Dudon de Saint-Quentin décrit le conflit entre Thibaud et Richard. Il n’hésite pas à qualifier le
premier de « satrape ». Ce n’est pas qu’un effet de style. Le chapelain sait pertinemment que le satrape
signifie représentant du roi (ici du duc) dans une province, même si dans l’empire Achéménide, ce
fonctionnaire récupérait réellement tous les pouvoirs du Grand Roi.
Un récit semi-légendaire vient aussi conforter cette vision. Un Ermenthée253, abbé de Tuffé est cité dans le
fameux poème tiré de la Chronique des églises d’Anjou. En pèlerinage pour Jérusalem, il croise un ermite
qui le questionne ; il lui répond que « c’est Thibaud qui gouverne en Gaule après le roi ».
242
Cat. Lothaire, n°2.
Pour Gislebert, clarifications dans Bijard, 2021, p. 26-28.
244 Gislebert mourra peu avant le duc, ce qui provoquera la promotion rapide de nouveaux comtes à Chalon.
245 Sassier, 2004, p. 60.
246 Chr Anjou, Intro. p. CIX.
247 Noizet, 2007, p. 157-172.
248 Dom Morice, Preuves de l’histoire de Bretagne, 1, col. 346.
249 Un peu avant sous l’évêque Ragenfred de Chartres (C. St-Père, t. 2, p. 351), il fait déjà usage de l’épithète nobilissimi, toutefois
l’acte a été réécrit plus tard en présence de Hugues Capet et des enfants majeurs de son second lit.
250 Latouche, Maine, 161-162 et Depoin, 1908, p. 54.
251 Cartulaire de Landévennec, p. 158.
252 Chr. Nantes, p. 111.
253 Sur les Ermenthée voir Doumerc, 2020, p. 855 et sq. Ce sont des proches des Thibaldiens.
243
59
Le conflit normand (959-962)
Nous savons que c’est la guerre bléso-normande de 959-962 qui va avoir de lourdes conséquences sur les
rapports avec le jeune Hugues Capet. Analysons celle-ci avec un regard neuf.
L’auteur le plus fiable, Flodoard, nous dit pour l’année 962 : « un certain Thibaud, qui combattait les
Normands, fut vaincu par eux, et leur échappa par la fuite. Mais comme Hugues, son seigneur, était irrité
contre lui, [Thibaud] vint au roi, fut très-bien reçu par lui et la reine Gerberge ; et rassuré … il s'en alla. »
L’annaliste s’intéresse d’abord aux affaires de la province de Reims. À l’échelle du royaume seul les faits
marquants sont conscrits. Il ne détaille pas les événements des années précédentes sur cette guerre qu’il
assimile à des querelles de frontières au sein de la Neustrie. Il ne garde qu’une conclusion laconique du
conflit et sur laquelle nous reviendrons.
L’autre source, beaucoup plus verbeuse, est celle de Dudon de Saint-Quentin254. Mais elle est moins fiable
sur la forme. Et sur le fond sa posture de panégyriste de Richard Ier invite à la prudence.
Le casus belli n’est pas explicite chez Dudon, il peut avoir plusieurs causes255. Ce silence nous inviterait à
dire que les Normands ne furent pas tout à fait innocents. Les phrases introductives de Dudon et le
contexte de la fin des années 950 suggèrent que les raids de Scandinaves sur la Bretagne commandités par
le marquis de Rouen ont pesé sur le déclenchement de la crise (cf. annexe II). Après les événements subis
lors de sa minorité, Richard doit asseoir son autorité fragile en Bessin-Cotentin et récupérer l’influence
perdue sur une partie de la Bretagne. À cela s’ajoute une pomme de discorde en Évrecin où Thibaud et
Lietgarde veulent maintenir leur présence à partir du douaire de cette dernière. Enfin, la prose de Dudon le
confirme quelque part, le comte de Blois assure une régence dans l’attente de la majorité de Capet. Même
s’il a pu profiter de cette situation, son action puise sa légitimité dans l’ADN qui a fait naître sa principauté
en 940 : limiter et contrecarrer l’expansion des Normands de la Seine.
Ces rappels nécessaires effectués, nous pouvons suivre en la complétant un peu, la trame256 du conflit
qu’en a dressé Pierre Bauduin.
Dès l’origine du conflit, Thibaud cherche l’appui du roi Lothaire et de la reine-mère Gerberge à Laon. Dudon
est cohérent avec Flodoard mais suggèrent que les discussions avec la royauté ont démarré bien avant 962.
Une attaque contre le comté de Rouen étant en dehors de la juridiction stricte du marchio de Neustrie,
Thibaud en « vice-duc » doit assurer ses arrières avec le roi. Cela donne aussi la date probable du début de
cette guerre : 959. Auparavant, en 958, Thibaud et Lothaire géraient encore leur différend à Coucy.
Nous savons aussi que l’arrivée de Bruno de Cologne, frère de la reine Gerberge, dans les affaires internes
du royaume de l’Ouest date du début de cette année 959257.
254
Dudon, p. 265 et sq.
Bauduin, 2004, p. 169.
256 Bauduin, 2004, p. 168-173.
257 Flodoard, A, 959.
255
60
Dudon parle aussi mais de manière plus confuse de l’intervention de Bruno. Ajoutons qu’il existe un récit
hagiographique qui nous rapporte que le comte Thibaud a offert à l’évêque d’Utrecht (un Waldric/Balderic)
- proche de Bruno de Cologne, des reliques ligériennes258 (inventées à Veuves en Blésois).
Tout cela concourt à la confirmation de tout un travail diplomatique préparatoire de Thibaud Ier dirigé vers
Lothaire, sa mère Gerberge et son oncle Bruno, ce qui va lui donner l’aval nécessaire pour ses opérations.
Il est un autre élément qui a dû faire pencher la décision du roi carolingien : l’irruption de Bruno dans les
affaires internes de son royaume visent à résoudre ses oppositions avec la famille capétienne. Lothaire sait
que c’est désormais une question de mois avant qu’il ne doive investir officiellement Hugues Capet dans sa
fonction de duc. Faire démarrer avant un conflit qui affaiblirait la Neustrie ne peut lui être que bénéfique.
Si l’aide de Lothaire est crédible, on peut difficilement suivre Dudon dans le fait que Lothaire ait réunie tout
un corps d’armée pour envahir le Normandie. Flodoard n’en parle pas. Au contraire, il décrit les
nombreuses autres préoccupations du jeune carolingien en ces années 959/960259. Chez Dudon, il y a une
possible confusion entretenue avec les événements de 944 : coalition armée sur l’Epte, prise d’Évreux par
le Hugues le Grand et remise de la ville au roi. Dudon dans son emphase aura voulu dramatiser la situation
pour mieux faire rejaillir la lumière sur son héros : ici il propose même un schéma inversé en parlant de
prise d’Évreux par le roi puis sa remise au satrape Thibaud.
On restera circonspect aussi sur la réédition de la participation flamande de 944 en cette même année 959.
En revanche celle de Geoffroy Grisegonelle pour l’Anjou est nouvelle et on ne voit pas pourquoi elle serait
exagérée : Geoffroy a des intérêts partagés avec Thibaud en Bretagne. Les relations entre Angers et Blois
sont toujours au beau fixe. Mais l’argument essentiel reste que le comte d’Angers se doit de répondre à
l’appel aux armes du suzerain par intérim. Les grands vassaux neustriens sont tenus de suivre Thibaud Ier
dans cette guerre qui est supposée protéger cette partie du regnum.
Outre la Bretagne et l’Évrecin, le conflit se serait étendu logiquement à la province de Sées, cette marge
fluctuante entre les deux anciennes marches de Neustrie260.
Reprenons Flodoard, pour l’année 961 : un plaid royal et l'assemblée des divers princes se tinrent à
Soissons. Richard, fils de Guillaume de Normandie, s'avança pour l'empêcher, afin de pouvoir [éviter une
sanction royale qui lui serait défavorable] ; mais il fut arrêté par les fidèles du roi ; plusieurs des siens furent
tués, et il fut mis en fuite. Chez Dudon261 cette défaite est maquillée en défense héroïque – c’est l’opération
sur l’Eaulne et à Dieppe, face à Thibaud Ier, Geoffroy Grisegonelle et Baudouin de Flandres.
Le cours des événements semble jusqu’ici plutôt défavorable au Normand mais la saison guerrière de 962
va marquer un tournant alors que le jarl a commencé à faire appel à des renforts scandinaves et que le
jeune Hugues Capet, devenu duc, a déjà dû faire savoir qu’il ne soutenait pas Thibaud dans ce conflit.
C’est d’abord l’échec du Thibaldien devant Rouen et la sévère défaite à Ermentrouville. C’est la fuite
précipitée vers Chartres. C’est la contre-offensive des troupes de Richard sur cette même ville, incendiée,
et où Thibaud le Jeune trouvera la mort.
258
AASS, XXI, Janvier.
Flodoard, A, 959 et 960.
260 Moulin, 1631, p. 82, qui rapporte une tradition où est introduit le premier Rotrou à tête de l’expédition de Sées.
261 Bauduin, 2004, p. 168, reprenant une hypothèse de F. Lot.
259
61
Conséquences des événements de 962 et dernières années
Après l’été 962, il n’y a plus de bataille rangée impliquant Thibaud Ier mais la résolution définitive du conflit
va prendre encore quelques temps. Il faudra régler le sort des troupes scandinaves installés à Jeufosse.
Thibaud devra rendre la ville d’Évreux à Richard.
Le roi Lothaire est finalement le seul vainqueur de ce conflit où se sont usés Richard et surtout Thibaud.
Surtout la grande harmonie entre Robertiens et Thibaldiens est définitivement rompue. Revenons à la
phrase de Flodoard. Que recouvre le courroux de Hugues Capet dont il parle quand Thibaud est allé à
Laon ? Pourquoi ce dernier ressort-il plus rassuré de la cour ?
La raison généralement évoquée pour justifier la rupture entre Thibaud et Hugues est le rapprochement
des Robertiens avec le jeune Richard Ier. Cela va se traduire par l’union entre le prince normand et Emma,
sœur de Hugues Capet. Les promesses ou fiançailles dateraient de Hugues le Grand (956). Cela participe
d’un équilibre alors cherché par le duc puis par son fils entre les deux grandes puissances neustriennes.
Mais ce que reproche au comte aussi le jeune Capet, entouré d’une nouvelle génération de conseillers
comme les Bouchardides de Vendôme, c’est d’avoir écouté Lothaire et surtout de ne pas avoir attendu sa
majorité politique que le roi carolingien avait à dessein retardée.
Que peut perdre Thibaud en 962 au-delà de l’oreille du jeune duc ? Difficile de se faire destituer d’une
partie de ses honneurs. En revanche la perte de son fils d’ascendance maternelle rorgonide est pour le
Tricheur est vrai coup du sort. Il était depuis longtemps pré-investi à recevoir l’essentiel de l’héritage
paternel. Ses enfants de Lietgarde sont encore jeunes et c’est peut-être sur eux que pèse la menace du
Capétien. Refuser la transmission d’une partie de leurs immenses bénéfices ou, par une ironique inversion
des rôles, les gêner ou les retarder dans cette dévolution. C’est pour cela que Thibaud Ier est allé à Laon et
qu’il est allé chercher l’appui des carolingiens et au-delà des ottoniens.
Du côté de l’Ornois
Devenu par nécessité plus proche du roi, Thibaud, sur la fin de sa vie, va aussi retrouver un rôle dans la
province de Reims. Ce sera néanmoins en rupture avec la politique herbertienne qui a prévalu jusqu’ici.
Signalons maintenant un autre fait qui va avoir son importance, la mort en 961 du dernier comte notable
hugonide : Hugues (IV)262 d’après les listes de Chaume qui mélangent toutefois Bolenois et Bassigny. C’est
en263 Ornois septentrional, en Bolenois, et sur une partie du Perthois que se concentrent ses bénéfices.
Le jeune Hugues, fils de Roger II, sur son lit de mort cède à l’abbaye Saint-Remi de Reims sa villa de Condes
en Bolenois. Il a cédé264 aussi à l’Église de Reims une terre en val de Rognon – en pleine période de vacance
du siège archiépiscopal rémois. Cette vacance durera jusqu’à l’élection du lotharingien Odalric, descendant
de Hugues de Chaumontois, et surtout candidat265 de celui qui devient empereur, Otton Ier.
262
Voir annexe III sur les différents Hugues en Bolenois et/ou en Bassigny.
Mathieu, 1999, p. 44.
264 Bur, 1977, p. 105 ; Chaume, 1925, p. 264-273.
265 Bur, 1977, p. 108.
263
62
La période entre 962 et 968 est celle de rapprochements et de négociations parfois difficiles entre le roi
Lothaire, Thibaud et son beau-frère Herbert le Vieux, ce qui demeure de la lignée Hugonide (voir annexe III)
et enfin l’archevêque Odalric. Nous verrons qu’elles déboucheront sur un redoublement d’alliance entre
Thibaldiens et Hugonides. À l’issue de cette phase nous constatons les lieux d’influence suivants :
•
•
•
Pour Roger (III), frère puîné de Hugues de Bolenois, le nord de la province de Reims autour du
Porcien - futur berceau des comtes de Porcien ; l’avouerie de l’abbaye Saint-Thierry près de Reims.
L’avouerie de Saint-Amand en revanche va bientôt être perdue ;
Pour Herbert le Vieux : la protection des biens de l’Église de Reims au sud, d’Épernay266 au pagus de
Châlons (Vertus) ; la partie Bosonide dans le plat-pays de Châlons, en Der267 et en Perthois avec le
titre de comes palati268 ; l’avouerie de Saint-Jean de Laon du chef de l’ancienne reine Edwige qui le
pousse aussi vers l’Est ; un rôle de conseiller privilégié du carolingien renforcé à la mort de Renaud
de Roucy avec un comitatus de Reims amoindri mais très symbolique ;
Pour les Thibaldiens : la protection des biens de l’Église de Reims en Laonnois avec notamment la
châtellenie de Coucy ; ce qui reste des honneurs hugonides au sud et à l’est du pays champenois
mais qui devra être consolidé et légitimé par un mariage avec une Hugonide.
Dans ce dernier lot figure entre autres l’Ornois septentrional. Mais pour mieux comprendre ce qui va suivre
balayons l’histoire de l’Ornois méridional.
Le sud de l’Ornois avait appartenu à un Bernard269 (870) ; ce sont peut-être les même Bernard que dans le
pagus Scarponinse270 (Dieulouard, 874). Par ailleurs après 877, une Frédérade, veuve, épousa un Bernarius
qu’on rapprochera des précédents271. En 883, ce dernier Bernard fut assassiné par Hugues le Bâtard272 (fils
naturel de Lothaire II). Ce Bâtard épousa la double veuve Frédérade et mit la main sur les biens du
précédent couple. Réginon note273 que depuis 879 ce Hugues fils de Lothaire coalisa contre lui des magnats
de la région. Ce sont les comtes Stéphane (Étienne), Rodbert, Wicbert (le Widonide cité au début de notre
étude), et Thibaud (le proto-Thibaldien également cité). Wicbert fut également assassiné par Hugues. Le
Bâtard finit par être violement écarté de la scène politique par Charles le Gros en 885.
Jean-Noël Mathieu donne divers arguments recevables pour donner une descendance à Frédérade et
Hugues le Bâtard274 – avec un fils, Hugues de Chaumontois, dont sont issus les Odalric-Arnoul. Nous
ajouterons que cette descendance a récupéré des honores des Bernard sur la Moselle moyenne
(Dieulouard est proche Lay) et l’Ornain du sud où nous retrouverons l’archevêque de Reims Odalric et ses
neveux et nièces. Le premier ayant suivi une carrière dans l’Église en étant d’abord chanoine à Metz. Les
seigneurs de Reynel sont pour finir les héritiers des Odalric-Arnoul en Ornois méridional.
Les scénarios de continuité sont toujours à privilégier. Le cas de l’Ornois du sud a pour fil conducteur : les
Bernard ; les Odelrici-Arnulfi ; puis les seigneurs de Reynel. C’est un miroir parfait du fil conducteur que
nous pouvons appliquer pour le nord avec : les proto-Thibaldiens depuis le comte Thietmar ; les Hugonides ;
266
Bur, 1977, p. 109.
Bur, 1977, p. 110.
268 Boson de Lotharingie porta le titre de conspalatii, voir aussi Bur, 1977, p. 113.
269 Divisio regni Hlotharii II, p.193-195.
270 Cartulaire de Gorze, n°69.
271 Reginonis Chronicon, MGH SS I, p. 594.
272 Chronico Saxonico 883, RHGF IX, p. 36.
273 Reginonis Chronicon, MGH SS I, p. 594.
274 Mathieu, 1999, p. 46.
267
63
les Thibaldiens puis les seigneurs de Joinville. Cependant avant l’apparition de ces derniers, un hiatus
semble s’être produit après 962.
Du même Jean-Noël Mathieu, nous reprenons et complétons dans l’annexe III, le scénario d’une union
entre les Odalric-Arnoul et les Hugonides – soit la mère et le père de Roger (III) et Hugues (IV).
En 962, le Tricheur doit revoir ses projets de legs à ses enfants. Il doit défendre leurs intérêts en Neustrie où
l’horizon est désormais limité. Il a pu chercher de nouvelles perspectives pour sa progéniture qui descend
d’Héribert entre Oise, Marne et Meuse. Un redoublement d’alliance à la génération suivante avec, cette
fois, les enfants issus de l’union entre Hugonides et Odalric d’une part, et ceux de Thibaud Ier doit être
envisagé. Les vieux bénéfices275 hugonides seraient tombés sous la tuitio Thibaldienne
Hugues276 de Blois destiné initialement à un cursus clérical serait le plus âgé277 des enfants restants de
Thibaud Ier. Il serait donc né peu après le mariage (circa 946/47) et Eudes serait sans doute né au plus tôt
vers 950. En tout cas la première souscription de ce dernier est en mars 967. Le vieillissant Thibaud Ier a
tout intérêt à avoir le plus d’options possibles avec ses deux héritiers restants. À ce titre Hugues a pu
s’inscrire dans un projet politique et matrimonial bien précis.
Avant son accession au siège de Bourges, Hugues a une carrière méconnue, mais sans doute pas anodine.
Une carrière qui mêlerait charges laïques et religieuses et une possible paternité sont les moyens pour sa
famille d’assurer une descendance en attendant celle de son frère Eudes qui recherche de son côté le
mariage idoine - si possible hypergamique.
Reprenons notre hypothèse278 - qui ne sera pas démentie par la présente étude, au contraire – où Hugues
aurait épousé vers 965 une fille279 – sans doute nommée Helvise – du comte Roger II. C’est une sœur de
Hugues (IV) et une nièce de l’archevêque Odalric (voir l’annexe). Leurs enfants putatifs – Hugues et Roger
de Beauvais, Helvise de Pithiviers – portent des anthroponymes hugonides significatifs. Ils traduisent un
projet initial au cœur de l’héritage Hugonide. La difficulté de ce dossier tient au fait qu’ils auront une
carrière remarquable – non pas en Ornois et en Bolenois – mais aux marges de la principauté thibaldienne
– à Beauvais, Dreux et Nogent-le-Roi, dans l’Orléanais en lien avec les Ermenthée, et enfin à Sancerre.
Comme pour le cursus de Thibaud l’Ancien, qui a démarré ex abrupto à Tours, nous sommes face à une
rupture par rapport à un schéma programmé à l’avance. C’est cela qui peut dérouter.
Dans le courant des années 960, des tractations et des renouvellements d’alliances ont ainsi commencer à
dessiner un schéma précis, mais l’arrivée d’Adalbéron sur le siège de Reims en 969 bouleverse la donne.
Richer avait complété le récit de Flodoard en nous précisant bien qu’Odalric avait déçu Bruno de Cologne.
La restitution – contre cens280 – d’Épernay et de Coucy aux Herbertiens et les autres alliances conclues par
Odalric n’étaient pas du goût du parti ottonien.
L’arrivée d’Adalbéron – un Wigéricide soit un membre de la famille des Ardenne – signifie le retour à une
ligne dure et sans compromis. Il y a trois niveaux de lecture dans la politique d’Adalbéron. Il y a celle qui est
275
Roger (III) semble exclu de ce partage. Odalric confie en précaire des biens de son Église en Val Rognon à ses neveux Odalric et
Arnoul face aux exactions des parents du comte Hugues de Bolenois.
276 Notons la polysémie de son nom qui renvoie aux Robertiens via Adèle mais aussi aux Hugonides.
277 Il souscrit avant son frère : C. St-Père, t. II, p. 354 ; Arbois de Jubainville, 1859, n°25 et n°28. Et cela ne s’explique pas seulement
par son titre archiépiscopal dans ces actes qui concernent le patrimoine familial.
278 Bijard, 2018, p. 4 et sq. (article en cours de réactualisation).
279 Thèse déjà défendue dans Mathieu, 1999, p. 48.
280 Bur, 1977, p. 109.
64
facile de mettre en avant, le réformateur de l’Église. Celle désormais bien connue du défenseur de
l’idéologie ottonienne. Or il ne faut pas négliger la dernière, celle du défenseur des intérêts de son clan en
haute Lotharingie. Cette combinaison d’objectifs transparaît à plusieurs reprises :
•
•
•
•
•
•
•
Adalbéron en se posant en champion de la réforme des mœurs du clergé comme le décrit Richer281,
va fragiliser un profil comme celui de Hugues de Blois qui mêle cursus laïc et clérical ;
Plus pro-impérial que son prédécesseur, Adalbéron aidé par Otton Ier, pourra gêner l’investiture des
bénéfices des deux côtés de la frontière (Perthois dépendant de Reims et Ornois impérial) ;
Plus prosaïquement, il favorise l’implantation de sa famille dans cette partie de la Lotharingie ;
Au début des années 970, Adalbéron réforme Saint-Remi et Saint-Timothée à Reims ;
En 972, Roger (III) cède à Adalbéron de Reims ses droits sur l’abbaye Saint-Thierry près de Reims ;
Le comte Otton de Vermandois (un Herbertien) est chassé de sa forteresse de Warcq par l'armée
archiépiscopale en 971 d’Adalbéron aidé de son frère Godefroid de Verdun ;
L’archevêque s’oppose au retour du vieux Thibaud de Soissons sur le siège d’Amiens.
C’est toute la parentèle Hugonide-Thibaldien-Herbertien qui engrange des motifs sérieux de désaccords et
de conflits avec Adalbéron, sa Sippe et l’empire ottonien.
Une chose est acquise, la carrière de la fratrie Hugonide : Roger, Hugues et Helvise, ne se fit pas dans leurs
régions d’origines. Ils œuvreront en faveur des comtes de Blois et dans des secteurs où leurs cousins
souhaitent étendre leur influence : Sancerrois, Orléanais (Pithiviers puis ambition sur le siège épiscopal), le
nord du Chartrain et le comté de Dreux, le Beauvaisis.
Cause ou conséquence de ce hiatus, en 969282 Hugues de Blois prend la succession de son oncle sur le siège
de Bourges. Il interviendra uniquement en Aquitaine et dans la gestion des biens familiaux au côté d’Eudes.
Revenons justement à l’héritier principal.
281
Richer, L. III, p. 269.
Goujet, 2004, p. 66 – nous suivrons comme Alfred Gandilhon le Catalogue des actes des archevêques de Bourges antérieurs à
1200.
282
65
Eudes Ier ou la confirmation d’un virage politique
Désormais nous entrons dans des périodes mieux connues et elles seront parcourues plus rapidement.
Le mariage avec Berthe
Thibaud le Tricheur disparait au plus tard en 977, avant même que son fils Eudes n’ait pu conclure le
mariage que les Thibaldiens ambitionnent. Souvenons-nous de Thibaud le Jeune qui meurt après 25 ans
sans apparemment avoir pu contracter le mariage politique adéquat283.
En tout cas, Eudes participe depuis un moment aux affaires de la principauté comme le confirmes plusieurs
souscriptions. Si tous les actes de Saint-Père sous l’épiscopat d’Hardouin284 sont interpolés – les originaux
sont à dater circa 950 - les noms rajoutés comme ceux des enfants de Thibaud Ier surviennent une vingtaine
d’années après. Le corpus documentaire de l’abbaye Saint-Père a été largement remanié. Nous gardons à
l’esprit la forgerie de ce scriptorium qui avait évoqué à la même période cet évêque choisissant un proche,
Eudes, pour le doter du temporel de Saint-Père.
Nous sommes en terrain plus fiable à la fin des années 960 où Eudes signe plusieurs actes à la suite de son
père encore en vie. En mars 967285, il souscrit pour un don à Chemillé-sur-Dême pour Saint-Julien de Tours :
S Tetbaldi comitis. S Odonis, filii ejus. En avril 969286, Hugues, duc des Francs, répondant à la demande de
son vassal Haymon, donne au prêtre Otbert une vigne proche de la porterie de Marmoutier : Ecce crucem
quam fecit Tetbaldus comes … Ecce crucem Odonis filii ejus.
À la fin des années 970, Eudes Ier, suivant en cela la ligne de son père, et celle qui devait s’imposer à
Thibaud le Jeune, a enfin conclu un mariage prestigieux avec Berthe la fille du roi Conrad II de Bourgogne et
de la carolingienne Mathilde. C’est l’étape ultime des unions hypergamiques thibaldiennes. C’est ce
mariage qui avait valu une remarque négative mais exagérée de Raoul Glaber.
Cette union va libérer de nouvelles ambitions pour Eudes. Même si son titre reste celui de comte – marchio
n’étant pas retenu. Trop à l’étroit dans sa vassalité robertienne en Neustrie, il s’implique plus encore que
son père dans la politique européenne se rapprochant du roi Lothaire devenu son « cousin ».
Son épouse étant bourguignonne et Lothaire s’intéressant à la Lotharingie, cela ne peut que réactiver le
tropisme thibaldien vers la région d’origine de ses ancêtres.
Évolutions en Neustrie
Si Eudes a récupéré l’ensemble de ses honneurs et bénéfices sur la Loire et en Chartrain malgré les
menaces de 962, il n’est plus considéré par Hugues Capet comme le primus inter pares. Il est réduit ici à ses
fonctions comtales et non plus comme le suppléant du duc pour diriger une Marche à l’intérieur de ce
regnum. Les vassaux qui sont en dehors de ses comtés retrouvent un lien direct et privilégié avec le duc.
C’est le cas du comte de Vendôme Bouchard, du comte du Maine Hugues II et progressivement du comte
283
Mais il a pu avoir des enfants naturels comme le propose le stemma n°2.
Cela concerne : C. St-Père, I, n°63 ; C. St-Père, II, p. 354 ; le développement de ce point sort du cadre de la présente étude.
285 Bibliothèque de l'École des Chartes, 1886, n°269.
286 Tours, Arch. dép. Indre-et-Loire, H200, n°2.
284
66
d’Anjou Geoffroy Grisegonelle. Ce Geoffroy a épousé en 965287 Adèle, fille de l’herbertien Robert Ier, comte
de Meaux et de Troyes. Ce qui montre que c’est après la mort de Thibaud Ier que les liens se relâchent.
La Normandie de Richard II prend la mission de premier contrepoids à la puissance Thibaldienne. C’est la
situation compliquée de la Bretagne qui va continuer d’alimenter les tensions. Nous observons que c’est à
partir de 982 que nous pouvons raisonnablement dire que le divorce entre Angers et Blois commence. Dans
le cadre voulu par le jeune Hugues Capet, le comte angevin n’a plus à traiter avec Eudes qui contrairement
à son père n’est plus le médiateur des affaires neustriennes et de ses rapports avec la Bretagne. Ce qui
n’empêche pas des relations concertées en Basse-Loire et en Bretagne.
Nous ne détaillerons pas ici les différentes étapes de cet affrontement qui va durer un siècle entre
Grisegonelle et ses descendants et les comtes de Blois. Nous remarquerons simplement que les éléments
fédérateurs du début du Xe siècle se sont évaporés : réseau familial widonide ligérien, présence très
encadrante des robertiens, partage équilibré de la Touraine et des bénéfices martiniens.
Sur ce dernier point le rapport à la basilique Saint-Martin de Tours est instructif. Si les grands feudataires
ont partout tendance à vouloir leur propre fondation religieuse faisant office de nécropole, le cas des
anciens vicomtes de Tours est particulier.
Un nouveau lieu de mémoire
Toutes les familles qui ont endossé un rôle vicomtal, même partiel, dans le pagus de Tours, semblent par
une tradition bien ancrée depuis le IXe siècle, vouloir être enterrées près du saint protecteur Martin. Ce
sont les inhumations ad sanctos, les plus privilégiées.
Si on ne peut rien avancer pour les vicomtes Atton, cela serait bien le cas des premiers Ingelgeriens288. Ces
derniers, qui ont un pouvoir équivalent à ceux de vicomtes de la frange méridionale de la Touraine, avaient
d’ailleurs des biens et propriétés dans ce Châteauneuf qui entoure l’abbaye de Saint-Martin de Tours.
Hélène Noizet289 a mis en lumière le fait que les comtes d’Anjou jouissaient d’un certain nombre de droits à
Saint-Martin, que ceux-ci remontaient au plus tard à l’époque de Foulques II le Bon († 960). Reste à donner
une explication à ces enclaves juridiques. Tout porte à croire qu’elles proviennent à la partition de 907 où
les futurs comtes d’Anjou ont non seulement conservé des droits de natures vicomtales à Loches mais aussi
la tuitio de l’abbaye de Cormery.
C’est aussi le cas des premiers Thibaldiens, avec le Tricheur290 ; mais aussi sa mère Richilde291 – et donc a
fortiori son père. La rupture progressive avec ces traditions est initiée292 par Eudes Ier. Saint-Martin de Tours
garde en effet un statut particulier qui peut dépasser et écraser une volonté de culture de la memoria
propre à un prince territorial ; c’est un lieu où Hugues Capet garde trop de prérogatives.
Le choix ne se portera pas sur Saumur avec son abbaye trop récente dont on connait la genèse chaotique.
Celle-ci demeure très excentrée par rapport aux terres thibaldiennes. Surtout reposer auprès de Florent n’a
pas la même valeur que de le faire auprès de Martin, le protecteur des Francs.
287
Settipani, 1997, p. 232.
Chr. Anjou, p. 63, 67, 75 et 87.
289 Noizet, 2007, p. 158, mais qui laisse penser que l’honor comtal thibaldien sur la Touraine serait complet et homogène.
290 Ce que suggère l’acte de 944, cité dans (Lot, 1907, p. 175-176).
291 Arbois de Jubainville, t. I, p. 461.
292 Sur les tendances individuelles et domaniales des inhumations aristocratiques voir Le Jan, 1994, p. 41 et sq.
288
67
En revanche Marmoutier présente beaucoup d’avantages : c’est aussi une fondation martinienne ; elle est
située au cœur de la Touraine qui a vu émerger la carrière de Thibaud l’Ancien ; son lien avec les Robertiens
est moins pesant que pour la basilique majeure de Châteauneuf sur la rive sud.
C’est Berthe la bourguignonne qui par ses connaissances avec le milieu clunisien va favoriser ce dessein. Le
couple sera aidé par Hugues de Blois en lien avec l’Aquitaine. Le récit293 magnifié du scandale où Berthe
tombant sur une abbatiale vide avec pour seule occupante la femme d’un prêtre et son enfant fait partie
des prétextes pour accélérer le besoin de réforme. La mise en place de cette stratégie de communication et
de pression a pour objectif de pousser Hugues Capet à abandonner son statut d’abbé laïc de Marmoutier.
Eudes Ier et quelques-uns de ses proches éliront Marmoutier comme lieu de sépulture. Il est remarquable
d’observer qu’un peu plus tard, c’est au tour du comte d’Anjou, Foulques Nerra, d’abandonner SaintMartin de Tours comme lieu de sépulture. Néanmoins, il ne va pas choisir un des édifices d’Angers pour se
faire inhumer, mais sa nouvelle fondation de Beaulieu-lès-Loches. L’important est pour lui aussi de rester
dans le pagus martinien, au plus proche du saint.
Le monastère de Marmoutier, tout comme Saint-Florent de Saumur un peu auparavant, va connaître sa
période d’expansion sous la faveur des thibaldiens. Avec diverses obédiences (qui pourront déboucher
formellement sur des prieurés plus tard) dans les zones ou Eudes Ier veut consolider sa présence. Ainsi
Gometz en Yvelines chartraine – cette fois, contrairement à Chevreuse, sans empiéter294 sur le diocèse de
Paris ; à Chemars en Dunois295 ; et avec une certaine inertie, la Bretagne du nord-est où Marmoutier arrive
après Saumur (le cas de la commune de Livré-sur-Changeon est caractéristique).
L’abbaye de Marmoutier sera confiée à Gauzbert, le cousin d’Emma et d’Eudes (stemma n°2). La mainmise
familiale est achevée.
La situation en Berry Thibaldien
En quittant Bourges et en arrivant aux frontières du Sancerrois, on tombe sur un site d’une grande valeur
archéologique, Vesvre. Un ensemble castral dont des éléments enfouis sont exceptionnellement bien
conservés grâce à situation en fond de vallée296, à l’écart des perturbations d’origine humaine.
C’est une fortification de frontière dont les premiers éléments sont de la fin du IXe siècle. Sa situation ne le
classe pas dans la catégorie des châteaux visant à bloquer les raids vikings. Son ancienneté et les premières
évolutions le concernant jusqu’au début du XIe siècle méritent aussi un regard historique aiguisé qui
complètera le riche PCR pluriannuel qui l’a longuement étudié.
L’édification et l’entretien de ce site remarquable, sa datation haute, ne peut découler que d’une volonté
ou autorisation régalienne. Son apparition dans les années 880 coïncide avec l’arrivée de Hugo, comte de
Bourges, et fer de lance de la conquête de l’Aquitaine wilhelmide. Sa permanence et son évolution au cours
du Xe siècle est le témoin d’une nécessaire mise au pas du Sancerrois et de Château-Gordon par les milites
issus de la cité berruyère, ou issus de la marche thibaldienne. Le lien à venir de Vesvre avec la seigneurie
des Aix-d’Angillon et l’histoire même du site de Sancerre font opter pour la seconde alternative. Toutefois
293
Histoire de l'abbaye de Marmoutier par Dom Edmond Martène, t. 1, p. 200.
Bijard, 2020, p. 14.
295 Chartres, Arch. dép. Eure-et-Loir, H 2264-2301.
296 Mataouchek, 2021.
294
68
ni Thibaud le Tricheur ni Eudes Ier ne semble intervenir en ces confins du Berry, face à une seigneurie dont
on a déjà pu identifier les sentiments pro-aquitains.
Ce n’est pas le cas de Richard puis de son neveu Hugues, archevêques successifs à Bourges. Tout porte à
croire, comme nous allons le voir juste après, que c’est ce dernier qui vint à bout de la maîtrise du
Sancerrois et qui endossera le rôle de son frère pour cet honor - c’est-à-dire maintenir les milites dans leur
service au profit l’Église de Bourges, ajouté à la capacité à mobiliser ces mêmes ressources de Sancerre
pour lutter contre une menace extérieure qui fragiliserait le Regnum Francorum.
Revenons à l’histoire confuse de la suzeraineté sur Château-Gordon.
La seigneurie de Sancerre aurait été détenue297 par l’évêque Roger de Beauvais, fils putatif de l’archevêque
de Bourges Hugues de Blois. Elle a été échangée contre des droits comtaux à Beauvais avec son parent le
comte Eudes II de Blois-Chartres en 1015. Olivier Guyotjeannin298 synthétise la position historiographique
moderne la plus suivie en ravalant cette information au rang de « légende ». La mention apparaît dans
Sigebert de Gembloux (1138-1147) puis chez Aubry de Trois-Fontaines. En fait cette tradition a été
combattue initialement par Labande comme par Lemarignier299.
Le premier érudit300 ne démontre absolument rien. Il donne deux arguments péremptoires. Le premier est
de rappeler que Sigebert et Aubry peuvent être sujets à caution. Le second est de dire que le diplôme de
1015 ne fait aucune référence à cet échange. On rappellera simplement que ce diplôme est un acte royal
qui sanctionne un nouveau statut pour l’Église de Beauvais. C’est bien là le rôle du roi. Le diplôme n’a pas
vocation à mélanger deux affaires de nature juridique complétement différente. Même si la seconde, qui
elle est d’ordre administrative et miliaire, vient compenser la première.
L’autre « témoignage irréfutable » avancé par Olivier Guyotjeannin proviendrait de l’étude d’Eugène de
Certain301. Nous rappellerons que c’est un texte capital qui démontre l’identité entre le Castrum Gordonis
et le site castral de Sancerre. Nous ne reviendrons pas sur ce point.
Partant de ce texte et de ses sources, on voit que la dernière héritière de Château Gordon, cette Mathilde
fille de Gimon, déclare, faute d’héritier, remettre son bénéficie au comte Eudes (II) - Odonem comitem
palatii. L’auteur place logiquement cet événement après 1028. Ce qui pourrait laisser croire, par une
analyse trop rapide, que c’est seulement à ce moment-ci que Sancerre passa aux Thibaldiens. Ajoutons
pour être complet une pièce qu’auraient pu exhumer les détracteurs de la thèse d’un échange. Auparavant
le père de la légatrice célibataire, Gimon, avait était qualifié de nostrae (Bourges) ecclesiœ militis302. Nous
pourrions nous arrêter ici et suivre les contempteurs du continuateur de Sigebert de Gembloux : Sancerre
était vassale de l’Église de Bourges et c’est seulement à la mort de Mathilde (postérieure à 1028) qu’elle
vint dans le giron du comte de Blois-Champagne303.
On rappellera d’abord qu’il est tout à fait naturel que lorsque le propriétaire d’un bénéfice n’a pas de
parents suffisamment proches304 pour le lui transmettre à son décès, c’est son suzerain qui le reprend
avant éventuellement de le rétrocéder. C’est ce qui s’est passé ici. Le choix de Mathilde ne nait pas d’un
libre-arbitre capricieux mais obéit aux règles de succession de l’époque. En fait, ce passage démontre au
297
Trois-Fontaines dans RHGF, t. X, p. 288.
Guyotjeannin, 1987, p. 20.
299 Lemarignier, 1965, p. 134-135.
300 Labande, 1978, p. 30-31.
301 Certain, 1858, p. 544-545.
302 Gall. Christ., t. Il, Instrumenta, p. 51.
303 Devailly, 1973, p. 359, avance l’idée fantaisiste d’un mariage entre Eudes II et Mathilde.
304 Cette absence de proches et cette question d’héritage pour Mathilde apparait aussi dans les Miracles de Saint Benoît. La fille de
Gimon fait l’objet de convoitises de la part de Landry de Nevers qui veut forcer un mariage entre elle et l’un de ses fils.
298
69
contraire que les châtelains de Sancerre étaient déjà sous la domination du comte de Blois. La date de 1015
est compatible car le décès de Mathilde est postérieur à celle-ci.
Reste à éclaircir le rapport de vassalité entre Gimon et l’Église – rapport qui, soit dit en passant, existe quel
que soit le scénario retenu pour la récupération de Sancerre par Eudes II. Pour cela on rappellera que cette
titulature est conforme au schéma de 925 posé sous le roi Raoul : en temps ordinaire, le Berry est composé
de milites défenseurs de l’évêché, du chapitre ou d’une abbaye berruyère ; en temps extraordinaire ils ont
le devoir de rallier la défense du Regnum Francorum que l’ennemi soit païen ou même aquitain.
Cette dualité est essentielle à comprendre pour démêler l’histoire du Berry. D’ailleurs vers 996, Eudes II est
à Bourges305 avec le roi Robert le Pieux pour remettre au pas ces milites berruyer qui n’avaient pas rallier
l’ost royal alors qu’un conflit impliquant le duché Aquitain venait d’éclater. Certes le dispositif voulu par
Hugues le Grand et le roi Raoul devient quelque peu dépassé au XIe siècle. Mais on fait juridiquement appel
à lui quand l’intérêt s’en fait sentir. Aussi comment expliquer (même si ces événements son postérieurs au
cadre de notre article) la vassalité de certaines terres des seigneurs de Bourbon306 envers les comtes de
Champagne à Ainay-le-Vieil, Épineuil-le-Fleuriel ou Blet ? Ces « auvergnats » qui ont des bénéfices dans le
grand pagus de Bourges ont pu ne pas respecter le cadre royal bivinide. Les comtes de Blois-Champagne
auront activé leur « droit de conquête » pour les soumettre. Les choses deviennent en effet plus limpides
quand on a en tête l’architecture administrative et militaire de 925, qui elle-même est une déclinaison du
dispositif de 888 mis en place pour Hugo de Bourges.
Réhabilitons au passage encore une fois Aubry de Trois-Fontaines. Comme pour Chartres ou Provins, mieux
vaut revenir aux sources même non-contemporaines et difficilement interprétables que citer de brillantes
études du XXe siècle qui n’offrent pas toujours toutes les garanties dans la rigueur de leur raisonnement.
Au nord de Chartres à la veille de la crise de 991
Malgré le recul des Thibaldiens à la cour ducale, la volonté de consolider des positions en Neustrie demeure
constante dans la politique de Eudes Ier et de son frère, puis de leurs enfants respectifs : Orléanais
occidental ; abbaye de Coulomb (pays de Nogent-le-Roi) puis Drouais307 ; et bien sûr le maintien dans le
Madrie des Nibelungides-Herbertiens.
Hugues Capet s’est fait couronner roi en 987. En 990, Charles de Basse-Lorraine, frère de de l’ancien roi
Lothaire (954-986) s’empare de Laon308. Il rallie les éléments les plus pro-carolingiens. Il récupère par ruse
la cité de Reims. Parmi les acteurs en lien avec Eudes Ier, son cousin Herbert le Jeune, soutient Charles. Son
cousin plus lointain Roger (III) de Porcien fait de même.
Eudes Ier reste en retrait au départ. Il ne trahit pas son suzerain principal (en Neustrie) mais ne le soutient
dans cette Francie carolingienne où le capétien veut repousser militairement son concurrent. En 991 après
un échec de Hugues Capet, il monnaye son soutien. Eudes réclame un nouveau comté, il semble qu’il ait
souhaité récupérer Melun – on le déduit au regard des événements de 992 et parce que Richer309 lui-même
l’évoque. Cette ville sur la Seine lui310 rapprochait ses intérêts ligériens de son relai à Provins. L’ancien duc
305
Pfister, 1885, p. XLV.
Devailly, 1973, p. 354.
307 Bijard, 2018 et 2019.
308 Richer, L. IV, p. 379.
309 Richer, L. IV, p. 455.
310 Richer, Id.
306
70
en tout cas refuse de céder cette ville stratégique pour aller depuis Orléans ou Paris vers la Bourgogne sous
contrôle Robertien (Sens, Auxerre).
Le roi capétien préfère céder Dreux que de toute façon il contrôlait assez mal et où Eudes Ier exerçait déjà
une certaine influence. Le conflit s’annonçant long et compliqué il n’est pas impossible que chacun ait
interprété à sa façon de possibles autres bénéfices une fois la paix restaurée dans le royaume.
Mais les deux protagonistes furent pris de court par le dénouement de la crise. Quelques mois après cette
tractation, Charles est capturé à Laon et remis à Hugues Capet. Sans qu’Eudes ait à fournir le moindre effort
note avec malice Richer. Paradoxalement, la situation ne satisfait pas le comte car il n’a plus aucun levier de
négociation pour récupérer Melun. Il franchit néanmoins le Rubicon à l’été 991, c’est l’affaire de Melun
avec l’occupation puis la perte311 de l’île-cité fortifiée. Eudes Ier a sous-estimé la réactivité du roi et sa
capacité à mobiliser des appuis. Ces derniers se composant du comte Bouchard de Vendôme et de Melun,
de Foulques Nerra, comte d’Anjou et du jarl et marquis Richard II de Normandie. En somme, ce sont toutes
les forces de l’ancienne Neustrie312 qui refusent le coup de force du comte de Blois. Il se sont facilement
rallier au roi car c’est d’abord l’ancien duc de Neustrie qu’il faut soutenir ici, c’est ensuite s’opposer à un
nouvel ordre que voudrait établir Eudes pour le royaume. L’accès à la couronne pour les Robertiens ne doit
pas être une nouvelle opportunité pour un Thibaldien de redevenir un nouveau « satrape ».
Cette deuxième ambition se révèle au travers d’un autre passage de Richer, où après ses échecs à Melun et
à Orsay, Eudes Ier aurait conspiré pour restaurer un carolingien sur le trône, et devenir le numéro deux du
gouvernement royal313. C’est donc bien en « état de félonie » que le grand comte meurt en janvier 996 à
l’issue de cette guerre vaine. La demande de pardon, qu’il fait alors, auprès de son suzerain Hugues Capet,
au-delà des remords personnels, a aussi pour but de maintenir l’intégrité des honneurs et bénéfices pour
ses héritiers. Hugues Capet et son fils Robert rejettent néanmoins les émissaires du thibaldien. La menace,
la même qu’en 962, est loin de n’être que théorique. Même si Hugues Capet n’a pas les moyens des rois
carolingiens du IXe siècle pour retirer un comté à un Grand avec effet immédiat, il peut utiliser d’autres
moyens. Ainsi après un long passif avec le comte manceau Hugues II, le Capétien attribue le Maine à
Foulques Nerra314 (charge à lui d’en assurer la mainmise néanmoins). Le roi Henri Ier fera de même avec les
Angevins pour le comté de Tours. Tout porte à croire qu’une première tentative de transférer ainsi tout le
vicecomitatus de Tours315 aux Ingelgeriens date de cette guerre de 991-996.
La mort d’Hugues Capet dès l’été 997 et le remariage de son fils Robert le Pieux avec la veuve Berthe
évitera à la Maison de Blois le sort manceau. Le second roi capétien devra intervenir militairement à Tours
pour inverser la décision qu’il avait prise avec son père qui légitimait la conquête de Foulques Nerra. La
remise en cause du partage de 907 au bénéfice des Ingelgeriens devra attendre.
311
Richer, L. IV, p. 455-463.
À part le Maine alors en rupture diplomatique avec le capétien, voir infra note 314.
313 Richer, L. IV, p. 483.
314 Renoux, 2001, p. 247-271.
315 Relire Richer, L. IV, p. 583. Le revirement des Capétiens obligera le roi Robert II à intervenir à Tours.
312
71
Bras droit des derniers carolingiens en Lotharingie
À la fin de l’année 984, Lothaire, ne renonçant pas à la suzeraineté d’une partie de la Lotharingie qui lui
aurait été promis durant la minorité de son neveu Otton III, décide de prendre les devants et de s'allier à
Henri le Querelleur. Ceci inquiète la Maison d’Ardenne dont l’archevêque Adalbéron de Reims qui tente de
mobiliser des contre-pouvoirs tel Hugues Capet. Henri le Querelleur316 ne tiendra pas ses engagements et
Lothaire décide de s'emparer par ses propres moyens de la Lotharingie. Le carolingien ne peut intéresser
beaucoup de Grands à son projet. Toutefois Lothaire va obtenir le concours de deux des plus puissants
comtes du royaume, Eudes Ier de Blois et Chartres et son cousin Herbert le Jeune, de Troyes et de Meaux.
Les motivations des deux cousins Herbertiens sont multiples. Leur oncle Herbert le Vieux vient de mourir et
le roi a partagé son héritage à dessein entre ces deux neveux et uniquement entre eux :
•
•
À Herbert le Jeune, le château de Vitry et le Perthois, Vertus et les bribes du comitatus de Chalons
que ne détient pas l’évêque317 ;
À Eudes Ier, l’abbaye Saint-Médard de Soissons, Château-Thierry et son ressort comtal, Épernay et
tout un ensemble de droits au sud du pays rémois.
Pour cela ils sont bien les vassaux et les obligés du roi. Le duc des Francs ne peut prétendre médiatiser ces
rapports de fidélité. Les objectifs du roi et des deux comtes sont Verdun. Derrière ce sont les Wigéricides
(Ardenne) qui sont attaqués pour avoir contrarié systématiquement les projets du carolingien ces dernières
années. Si Verdun deviendra un moment ville du roi, quelles bénéfices plus concrets les cousins Herbertiens
pouvaient-ils en retirer ? Et où l’affaiblissement wigéricide leur était nécessaire.
Nous aborderons plus loin le cas d’Herbert le Jeune dont les intérêts découlent peut-être de sa femme,
mère d’un Stéphane318 (Étienne).
En revanche, Eudes va se pencher naturellement sur le dossier ouvert de l’Ornois-Bolenois dont l’histoire
est obscure depuis l’arrive d’Adalbéron en 969. Nous savons par ailleurs qu’il se heurte dans la ville de
Commercy aux Ardenne, qui tiennent Bar-sur-Meuse avec le duc et comte Thierry Ier.
D’ailleurs lors des campagnes contre Verdun319, les Herbertiens retrouvent leur rôle de geôliers (et
extorqueurs). Le duc de Haute-Lotharingie Thierry Ier est fait prisonnier avec le comte Godefroy Ier de
Verdun, avec son fils Frédéric et avec Sigefroid de Luxembourg.
Thierry Ier sera finalement libéré grâce à l’entremise de son neveu, Hugues Capet. Richer ne précise pas le
prix de cette liberté. Pour le Thibaldien nous ne pouvons que l’extrapoler320 grâce aux éléments rappelés
plus haut et aux événements identifiés ensuite à l’époque d’Eudes II. Nous sommes toujours dans la
revendication de l’Ornois du nord et de ses pourtours – pour lui ou pour son cousin.
316
Richer, L. III, p. 345.
En revanche, Sainte-Menehould, apparaît comme une enclave hugonide des comtes du Porcien, et sera ensuite sous suzeraineté
thibaldienne.
318 Intéressant débat dans (Bur, 1990). Finalement l’auteur opte pour une origine auvergnate de la mère de Stéphane mais rien
n’est moins sûr. Pour notre part nous restons sur le scénario des Stéphanides lotharingiens, que propose l’auteur, p. 321.
319 Richer, L. III, p. 349.
320 Parisot, 1019, t. 1, p. 194, extrapole aussi mais sans expliquer l’éventuel bien-fondé de ses acquisitions.
317
72
L’autre avantage de cette invasion carolingienne pour Eudes Ier et Herbert le Jeune, c’est qu’ils ne sont plus
tenus de recevoir leur investiture pour leurs terres d’Outre-Meuse de l’empereur – comme le fit Roger II
avec le roi Otton de Germanie en 940. C’est de Lothaire qu’ils tiennent la confirmation de leurs honores
alors que les ottoniens et l’archevêque de Reims en avaient gelé l’investiture.
Tout au long de nos sources nous constatons une parfaite coordination et symbiose entre Eudes et Herbert
le Jeune. Un nouveau cadre les lie et cela va au-delà de la solidarité et de l’amitié habituelles qui unissent
des consanguinei. Le choix de Lothaire s’est judicieusement appuyé sur la nécessité des deux descendants
d’Herbert II de travailler en duo, même si Eudes Ier endosse une apparente prééminence. C’était peut-être
aussi une condition sine qua non du roi pour céder l’important héritage d’Herbert le Vieux.
Ce binôme ne se soude pas que sous la tutelle de Lothaire et face aux Ardenne. En effet, nous le voyons
aussi travailler à l’unisson en Bourgogne du nord, l’un se présente comme l’héritier des Bosonides
Garnériens, l’autre comme le restaurateur des biens et des droits des comtes de Troyes321 du IXe siècle.
Cette association perdurera encore à la génération suivante.
321
Voir la Geste des évêques d’Auxerre (GPA, c. 47) au sujet de l’intervention de ce tandem dans le pagus auxerrois.
73
Eudes II et les transactions de 1015 et 1022/24
Hugues fut associé aux affaires patrimoniales de son frère Eudes Ier et tenait des responsabilités en dehors
du cursus clérical. Pour le patrimoine familial il signe toujours au côté de son frère et souvent avant lui,
même s’il est déjà en office à Bourges. Nous trouverons avec les enfants d’Eudes Ier, Thibaud II et son frère
Eudes II beaucoup de similitudes avec la génération précédente. Néanmoins Thibaud II va mourir et Eudes II
va devenir en 1005 l’unique héritier de l’immense principauté Thibaldienne.
Mais Eudes II conserve un autre « proche », son cousin Étienne, fils d’Herbert le Jeune. Ils vont renouveler
cette alliance bâtie à propos d’intérêts convergents et entremêlés qu’ils ont pour les domaines orientaux.
Le mariage de la mère d’Eudes II, Berthe, avec le roi Robert II le Pieux a été l’occasion de relations pacifiées
et concertées comme à Tours pour récupérer la cité et l’abbaye Saint-Martin à Foulques Nerra, démis de sa
mission dont l’avait investi Hugues Capet, ou encore à Bourges pour remettre au pas les milites berrichons.
La prise de distance entre le Capétien et le jeune Eudes II se fera par étapes.
Le premier événement remarquable est le plaid royal de Coudres en 1013. Ici le roi Robert II se fait l’arbitre
d’un énième conflit entre les deux grandes puissances de l’ancienne Neustrie : Blois et Normandie. La
pomme de discorde en a été le douaire de Mathilde, sœur du duc normand, qui avait épousé Eudes II avant
de mourir. Ce dernier, devenu entre-temps comte de Chartres, voulait rester en possession de l’ancienne
part du pagus de Dreux qui après les accords de Saint-Clair-sur-Epte était devenue normande et qui avait
été déjà sous domination de son aïeule Lietgarde.
Le duc récupère le douaire de Mathilde. Si Eudes conserve le château de Dreux, il s’y trouve affaibli par
cette guerre et par l’arbitrage royale. En fait ce qui se joue probablement de 1013 jusqu’en 1015, c’est le
devenir de la façade défensive thibaldienne face à la Normandie – du Beauvaisis aux confins du Perche.
Perçue comme une menace réelle mais dépassée depuis le rapprochement avec les Robertiens, le normand
a dû œuvrer à son démantèlement. La construction de Hugues le Grand et du Tricheur remontant aux
années 940 gêne désormais l’alliance entre Richard II et le roi capétien. D’un autre côté, il fallait ménager
les thibaldiens. C’est dans ce contexte général qu’il faut traiter l’abandon par Eudes II de ses droits comtaux
dans la cité de Beauvais. Son cousin l’évêque Roger de Beauvais les récupère moyennant l’échange de
Sancerre comme vu précédemment.
Entre Dreux et Beauvais, relevant du grand comté thibaldien, se trouve le nœud stratégique de Meulan,
apporté par Lietgarde en 946. Son seigneur Waleran soutenait encore Eudes II dans la précédente guerre
avec la Normandie. Et c’est au plus tard en 1015322 que s’opère ici aussi un changement remarquable :
Waleran a été élevé au rang de comte. Son mariage avec une fille du comte de Vexin, l’y a aidé mais on sait
que les Waleran côtoyaient déjà les rangs comtaux avant ce redoublement d’alliance avec les comtes de
Vexin. Comme nous l’avons appris, le mariage est nécessaire mais pas suffisant pour accéder à la dignité
comtale, il faut ici une autorisation régalienne. Elle s’opère généralement dans le cadre d’une refonte
administrative des honneurs et des bénéfices.
Et le tournant des années 1013-1015 s’y prête. Mais comment interpréter ce changement à Meulan ? En
érigeant ce fief en comté, le roi en fait un tampon entre le domaine royal, celui du comte de Rouen et les
322
Fulbert, n°XVIII.
74
comtés de Vexin et de Dreux. En conséquence le comté se trouve rattaché à la défense de la couronne
voire de l’Église de Chartres. Il n’est plus tenu de défendre les intérêts militaires de Blois.
Mais quelle fut la contrepartie pour Eudes II ici dont l’influence recule nettement ? Un premier indice nous
vient de ce qui s’est passé à Sancerre. Regardons de plus près les évolutions entre Loire, Yonne et Seine,
sachant que la ville de Melun doit rester exclue des possibilités d’échanges.
Or en 1015 éclate l’affaire de Sens. Les démêlés du comte Fromonide Renard II dit le Mauvais, notamment
face à l’Église, permet au roi – qui est alors toujours duc de Bourgogne - d’intervenir. On sait ce qu’il advint
à la fin, Renard II conserve en viager sa fonction mais à sa mort, le capétien s’appropriera la moitié du
comitatus. Or nous avons vu que le pagus sénonais ne se réduit pas au ressort fromonide, il inclut d’autres
puissances locales telles les Bosonides Garnériens dont le nouveau défenseur est Eudes II.
Montereau-Fault-Yonne est un site qui apparaît dans les sources en 1015/1016323. Il fut le lieu de refuge de
Renard, protégé par Eudes II. Le droit de fortification y est très récent. La chronique sénonaise nous dit que
le maître de Provins se verra investir par Renard le Mauvais de ce château. Mais le grand comte semble
bien posséder auparavant des droits en ce lieu de confluence. Seule l’Église de Sens n’est pas conviée à ce
partage ce qui semble provoqué toujours selon Clarius324 le courroux du couple royal.
Au plus tôt en 1016, Renard325 repart en campagne en assiégeant les murailles gallo-romaines de Sens. Il
faut bien remarquer que Clarius le montre alors seul en scène, sans le comte de Blois.
Toujours à propos de ce conflit si nous reprenons la lettre de Fulbert de Chartres326 nous voyons l’évêque
exhorter le néo-comte de Meulan, Waleran, à soutenir son nouveau suzerain dans une guerre qui ne
justifie pas formellement de faire appel au ban de tous les vassaux directs du roi capétien. Aussi celui qui
est le chef spirituel des seigneurs de Meulan, en terre carnute, fait appel à des raisons religieuses – le
diocèse de Chartres dépendant lui-même de la province de Sens.
Tentons de reconstituer une chronologie des événements :
•
•
•
•
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•
•
•
Vers 1013 la paix de Coudres débouche sur un ensemble de tractations qui visent en premier lieu
les marges de la Normandie. Richard II est quelque part le vainqueur stratégique du conflit ;
Vers 1014, a lieu l’échange entre Beauvais et Sancerre qui devra être ratifié par le roi ;
À la même époque Meulan est érigé en comté au même titre que le Vexin voisin ;
En contrepartie, Eudes II veut consolider certains jalons entre Sancerre et Provins – Montereau,
Bray-sur-Seine, Saint-Florentin et probablement en Auxerrois327 ;
Avec en particulier un port sur la Seine pour transporter ses hommes : Montereau-Fault-Yonne
remplace dans ce dessein Melun sur lequel son père s’était obstiné ;
Mais se greffe à cela un conflit entre le comte de Sens et l’archevêque Liéry soutenu par le roi ;
Ce qui donne à chacun des occasions de faire bouger ses pions dans un cadre pas encore figé ;
Vers 1015, Fulbert veut éprouver la capacité des comtes Waleran et Gautier à quitter l’alliance
traditionnelle thibaldienne pour aider le roi et l’archevêque malgré un prétexte encore abstrait ;
Eudes II de Blois, plus audacieux, protège Renard II de Sens dans un premier temps. À moins qu’il
ne cherche à obtenir de lui l’investiture définitive des ponts et du castrum de Montereau-Fault-
323
Chr. Sens Clarius, p. 500.
Chr. Sens Clarius, p. 500.
325 Chr. Sens Clarius, p. 500-501.
326 Fulbert, n°XVIII.
327 GPA, c. 47. Ce thème est développé par Yves Sassier dans ses différents articles sur l’Auxerrois.
324
75
•
Yonne en sachant que le roi, au fait des compensations que demandent Eudes II, n’interviendrait
pas. En tout cas en 1016, on ne le voit plus au côté de Renard assiéger Sens ;
Octobre 1015, le roi ratifie le transfert du comté de Beauvais. À cette date les jeux semblent faits et
en effet, on ne voit plus de contentieux328 entre Robert II et Eudes II dans les années qui suivent.
Ajoutons aux contreparties obtenues par Eudes II la possible récupération du titre de comte palatin
qu’avait porté son cousin Hugues de Beauvais jusqu’à sa mort en 1008.
L’autre intérêt de ces arrangements des années 1013-1015 est qu’ils vont nous resservir pour analyser une
affaire qui va surgir moins de 10 après lors de la mort d’Étienne de Troyes autour de 1020. Mais désormais
le roi ne sera plus en position de force dans cette crise bien plus grave.
1021-1023 : un héritage compliqué
La succession d’Étienne, fils d’Hebert le Jeune et qui meurt sans héritier avant juin 1021, soulève encore
des questions. En lignée agnatique des candidats étaient mieux placés – les enfants d’Albert de Vermandois
ou même Foulques Nerra, fils d’Adèle de Troyes329 – à moins qu'Eudes II de Blois ne soit le successeur
désigné d'Étienne. Cela est cohérent avec cette alliance cognatique, plus forte que le comput des degrés de
consanguinité, entre Thibaldiens et l’ensemble des Herbertiens qui ont acquis des honneurs conjointement
le long de la Marne depuis 75 ans. Alliance cimentée par Lothaire aux débuts des années 980.
Robert II dans un premier temps ne semble pas s’opposer à cette succession, c’est ce qui ressort d’une
lettre d’Eudes II datée du début de l’année 1023330. Si le roi Robert II ne semble pas se préoccuper des
exclus de l’héritage d’Herbert, il compte bien intervenir lui-même dans la succession pour en tirer profit et
s’assurer que la puissance thibaldienne ne devienne pas trop exorbitante. Nous pouvons suivre le
cheminement de Michel Bur331 qui suggère que la crise a surgi dans un second temps entre le roi et l’archicomte. Son origine viendrait des concessions qu’aurait eu du mal à faire Eudes II. Nous ne limiterons pas le
débat ici à la concession des pouvoirs comtaux à Reims comme le fait l’auteur.
Comme pour l’année 1015, il nous faut aussi observer les changements inexpliqués à la tête de certains
honneurs à partir du milieu des années 1020 :
•
•
•
Éclipse de la présence thibaldienne à Dreux ;
Apparition de la seigneurie de Dammartin et plus généralement démembrement du comté de
Meaux, suivis par un nouveau contrôle de l’élection épiscopale à Meaux ;
Après un réel conflit332 avec l’archevêque de Reims Ebles soutenu par le roi Robert II le Pieux et des
négociations difficiles, la ville d’Épernay va entrer dans le domaine des comtes de Champagne. Cela
328
Bur, 1977, p. 156.
Settipani, 1993, p. 235, note 327.
330 Pfister, 1885, p. 241-242.
331 Bur, 1977, p. 158-159.
332 (Bijard, 2018, p. 16) d’après les témoignages archéologiques d’un incendie contemporain à cette période à Château-Thierry
relevés par François Blary - Origines et développements d’une cité médiévale. Château-Thierry - RAP - n° spécial 29 – 2013.
329
76
sera formalisé333 par un traité entre Ebles de Roucy et le comte blésois Eudes II qui a abandonné sa
part de comitatus à Reims et autour de la cité.
Comme pour la transaction de 1015, nous voyons que les lieux du désengagement du Thibaldien ne sont
pas choisis au hasard. Dreux est aux confins du domaine royale et du duché de Normandie. Quant à la cité
de Meaux et à l’ouest de son pagus, ils peuvent gêner la liaison entre les villes royales de Paris, Senlis et
Compiègne. Enfin Reims, est le lieu chargé de symboles de la royauté carolingienne au sein de laquelle les
Capétiens veulent peser.
La Basse-Bourgogne semble moins prioritaire pour le roi Robert II même si le concile d’Héry en 1023
montre que ce fut là aussi une zone de tension. Le roi s’appuie sur Landry de Nevers334 et ses descendants
pour contenir entre Berry et Sens la puissance blésoise. La difficulté à trouver en Sénonais un consensus
définitif se traduira par une nouvelle crise en 1032 autour de cette cité.
En revanche le titre de comte palatin335 est définitivement intégré dans les usages de la chancellerie royale
pour l’ancien filleul de Robert le Pieux.
Nous ne récapitulerons tous les autres événements de politique intérieure ou extérieure pour le royaume
qui ont accompagnés cette crise. Elle montre que contrairement à 1015, le roi n’était guère en position de
force et qu’il a dû orchestrer une diplomatie incluant ses grands feudataires comme Richard II ou son
puissant voisin, l’empereur Henri II.
333
Bur, 1977, p. 168.
Bijard, 2021, p. 93-95.
335 Bur, 1077, p. 157.
334
77
En guise de bilan : une relecture de la formation du comté de Champagne
Parcourant rapidement la bibliographie concernant l’Histoire de la Brie, de la Champagne ou de la Lorraine
nous pourrions avoir l’impression que c’est en épousant Lietgarde de Vermandois que les Thibaldiens se
tournèrent inexorablement vers cette région, telle une prédestination. Ou bien que les Herbertiens sont la
seule Sippe qui leur permirent cette implantation. Nous sommes loin de cette représentation spinalienne.
C’est en fait une série d’événements imprévisibles qui constituera ce grand fief du Moyen-Âge.
Le but premier de Thibaud le Tricheur et de Hugues le Grand par ce mariage était de renforcer la contremarche qui cernait la première Normandie – avec le Beauvaisis et ce qui sera le futur comté de Meulan.
Nous avons rappelé que Provins n’était pas un legs herbertien malgré un cliché tenace.
Certes le sort de l’héritage de Roger II à Laon ajoute une autre dimension à l’entreprise du binôme Hugues
le Grand / Thibaud Ier. Mais nous sommes ici dans une manœuvre d’affaiblissement du pouvoir carolingien
et nous ne sommes pas encore dans un objectif « champenois ».
Le premier « accident » est la mort sans héritier du beau-frère du Tricator, Herbert le Vieux et surtout le
partage intéressé de son héritage qu’en fit Lothaire. Eudes Ier et Herbert le Jeune, moyennant bénéfices,
vont former la paire soudée qui va appuyer la reconquête carolingienne de l’Est.
Ce dispositif ne s’est pas seulement élevé contre la Lotharingie pro-impériale mais aussi contre le pouvoir
Robertien. Eudes Ier ne voulant plus se limiter aux affaires de Neustrie où toute évolution est devenue
difficile depuis l’investiture de Hugues Capet. En revanche, il peut acquérir de nouveaux bénéfices entre
Marne et Meuse grâce à sa double légitimité Herbertienne et Hugonide. Cette dernière souvent méconnue
est néanmoins indispensable pour comprendre la constitution du futur comté champenois. De plus, elle ne
serait pas dénuée de cette idéologie qui entretient la mémoire familiale et qui renvoie ici aux protoThibaldiens de la seconde moitié du IXe siècle, déjà présents en Perthois, Bolenois et Ornois.
On peut considérer que notre deuxième « accident » est le décès de Hugues (IV) de Bolenois sans héritier
direct. Mais revenons d’abord sur Herbert le Jeune.
Herbert le Jeune est connu pour ses honneurs initiaux : Meaux et Troyes ; puis par son expansion en 982 au
nord de la forêt du Der. Une nouvelle étude serait nécessaire pour étudier son mariage putatif avec une
femme issue de la famille des Stéphanides lotharingiens. Il a pu alimenter également des revendications à
l’Est de la Meuse. Ainsi un lieu comme Neufchâteau, qui au XIe siècle sera attaché plus tard au nouveau
comté de Champagne, ne surgit pas du néant. Cet apport excentré (carte n°5) s’explique plus facilement
par une origine Stéphanide tout comme peuvent s’expliquer une partie des droits sur Commercy.
Une chose peut être avancée, les Wigéricides, avec Thierry Ier, se sont unis grâce à Richilde336 à des
Stéphanides, les Folmar-Étienne. Si cette Richilde est par exemple une belle-sœur de Herbert le Jeune, les
Ardennes et les Herbertiens de Troyes partagent a priori des sujets potentiels de discordes. Pour Eudes Ier
puis son fils Eudes II, le lieu qui cristallise ce conflit est Commercy. À la faveur de ses droits hugonides sur
l’Ornois qu’ils peuvent revendiquer, éventuellement renforcés par l’alliance Stéphanide des Herbertiens, ils
C. St-Mihiel, n°39 – le château d’Amance appartint à "Theodericus dux, comitissæ avus" qui en a hérité de "comiti Folmaro in
Asmantia" ; et Poull George, La Maison souveraine et ducale de Bar (Nancy, 1994), p. 20.
336
78
sont clairement les seigneurs dominants337 dans cette ville face aux comtes lorrains du Barrois qui
descendent de Thierry. Commercy sera incendiée aux débuts des années 1030 pour l’hommage dû à Eudes
II par Frédéric, fils Thierry Ier, mais non respecté. L’auteur de la Vita b. Richardi précise que cette concession
de fief aux Wigéricides remontent à Eudes Ier. On peut donc remonter aux guerres de Verdun.
Carte n°5 : le futur comté de Champagne vient d’une agrégation d’honores hérités. Toutes les possessions
ne résultent pas directement des Herbertiens : il existe les volets Hugonides et Bosonides-Garnériens.
Légende : Les parties « jaune d’or » proviennent de la bosonide Richilde ; celles en « vert foncé » de Herbert
le Vieux ; celles en « vert clair » de Stéphane (Étienne) ; les zones de couleur briques de Hugues de Bolenois ;
les cercles clairs tracés en Lorraine seraient l’héritage stéphanide (on peut aussi le reconstituer de manière
régressive en partant de la seigneurie338 de Commercy-Noncourt-Neufchâteau du XIIIe siècle) ; enfin toutes
les zones hachurées sont les espaces qui ne sont pas ou ne sont plus sous domination thibaldienne.
Pour récupérer l’héritage de Hugues (IV) puis consolider cette marche vers l’Est, notre binôme vedette
voudra assurément s’appuyer sur un réseau de proches et fidèles vassaux, qui auront aussi une légitimité
au sein de ces honores. La période 965/69 avait constituer une tentative avortée avec le mariage des
parents de Hugues et Roger de Beauvais. En tout cas, au début du XIe siècle, apparaît la topolignée des
Bur, 1977, p. 166-167, d’après (AASS, p. 536) et (MGH, SS XI, p. 286). En revanche, on peut difficilement suivre l’auteur sur sa
chronologie de l’Ornois et de Commercy pour expliquer les prétentions thibaldiennes. Comme pour le Chartres de K. F. Werner, on
ne sera guère convaincus des prétendues usurpations proposées par l’auteur de terres fiscales dans ce pagus.
338 Mathieu, 1992, p. 22.
337
79
Joinville avec Étienne de Vaux qui peut se targuer sans doute d’origines Hugonides comme d’origines
Stéphanides (voir annexe III). Sa lignée sera vassale des Champenois pour339 la partie sud du Perthois, une
majeure partie de l’Ornois du nord dont Vaucouleurs et d’une frange du Bolenois340 : nous sommes au
cœur du domaine proto-thibaldien originel. Étienne et les siens sont même un temps les maîtres de
Neufchâteau. En 1018, ce Stéphane (Étienne) y affronte341 déjà Thierry de Lotharingie.
Théoriquement après l’échec du carolingien Lothaire en Lorraine, les Thibaldiens doivent faire hommage à
l’empereur pour leur terres orientales reconquises. On constatera que les Ottoniens chercheront à limiter
les droits de ces encombrants vassaux. Le droit régalien pour l’édification de châteaux ne sera plus accordé.
C’est ce qui apparaît à Vaucouleurs342.
Cet événement à Vaucouleurs survient après le troisième « accident » qui achève la construction
champenoise, la mort prématurée d’Étienne, fils d’Herbert le Jeune.
La réunion des honneurs et bénéfices d’Eudes II et d’Étienne entre Marne, Seine et Meuse est un facteur de
déséquilibre des rapports de force en Francie de l’Ouest mais aussi en Lotharingie. Ainsi durant la crise de
1021-23, les deux suzerains, le roi Robert II et l’empereur Henri II, se rencontreront à Ivois pour faire face à
la menace thibaldienne. Péril confirmé pour le roi de Germanie quand Eudes II s’intéressera à la succession
du royaume de Bourgogne du chef de sa mère Berthe. La Meuse deviendra une ligne de front entre Eudes II
et le nouveau prétendant au trône impérial, Conrad. Celui qui deviendra Conrad II le Salique et ses alliés
lotharingiens – toujours menés par les Wigéricides – n’auront de cesse d’abattre les châteaux
adultérins343 d’Eudes II : Vaucouleurs et Bourmont.
Notre récit s’arrête en 1025. Nous sommes au faîte de la puissance Thibaldienne.
En 1032, la mort brutale d’Eudes II sur le champ de bataille près de Bar-sur-Meuse face au wigéricide
Gothelon marque l’arrêt de l’expansion en Lotharingie et dans le royaume de Bourgogne.
Le recul au nord-est amorcé en 1015 et en 1022 sur des lieux trop proches du domaine royal, se poursuit
quelque part avec l’abandon de Saint-Médard de Soissons (1037).
En 1044, l’ingelgerien Geoffroy Martel récupère définitivement le comitatus de Tours.
Ces reculs se font au profit d’une consolidation des confins lotharingiens et bourguignons. Ce recentrage
apparaît sous cet angle comme un retour aux sources proto-thibaldiennes.
339
Mathieu, 1992, p. 8-10.
Voir la « guerre de Bologne » dans Trois-Fontaines, p. 790.
341 Mathieu, 1999, p. 55.
342 Schneider, 1961.
343 Bur, 1977, p. 167.
340
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et Xe siècle) - Instrumenta Band 14 - Éditions Jan Thorbecke, Ostfildern, 2004.
87
Annexes
Annexe I : versions et révisions
Version du 31 décembre 2022 (initiale).
Version du 19 avril 2024 : corrections éditoriales ; reformulation de la lecture de l’acte de Vienne en 912 (nous remercions Philippe
Thuillot sur ce point) ; création d’une nouvelle annexe (IV) apportant des éclairages complémentaires sur Garnier de Sens ; ajout
d’une référence de Ferdinand Lot sur l’étude de Ugon / Hugon de Berry ; datation légèrement plus haute pour le mariage de
Richilde et la naissance de Thibaud Ier (nous remercions Charles Calwey sur ce point).
Annexe II : chronologie comparée de la marche normande et de la contre-marche thibaldienne
Dates
911
Événements chez les Normands de la Seine
Traité de Saint-Clair-sur-Epte, acquisition
par le jarl normand Rollon du comté de
Rouen et de territoires annexes. Dès lors
ces bénéfices se détachent des anciennes
marches historiques de Neustrie
924-926
Le mariage de Rollon avec Poppa346 puis son
accord avec le roi Raoul concernant les
Normands de la Loire lui permettent
d’acquérir le Bessin et le Maine. Ces
acquisitions semblent temporaires
Nouveau traité entre Guillaume fils de
Rollon et le roi Raoul qui donne au comte
Normand la maîtrise de la côte - du Bessin à
la baie du Mont-Saint-Michel (ce qui exclut
définitivement la prétention sur le Mans)
Confirmation du droit de conquête pour
Guillaume au-delà de la Vire347 – sur les
Bretons comme sur les colonies scandinaves
Le titre de marquis de Neustrie disparaît.
Cela encourage Guillaume à se titrer dux ou
marchio (le premier est même utilisé348
quand il s’affirme en Bretagne)
933
934-935
936
Événements dans le reste de la Neustrie
La prétention de Rollon à acquérir l’axe rorgonide
Évreux-Chartres fut en grande partie stoppée lors
de la bataille de Chartres344. Robert est un temps
dimarchio345 ce qui suppose qu’il aurait récupéré
Le Mans, Sées et Bayeux
Le marquis Hugues le Grand en coordination avec
le roi Raoul organise la lutte contre les Normands
de la Loire. Une facette de ce combat est la
constitution d’un dispositif militaire entre Cher et
Loire avec à sa tête Thibaud l’Ancien
Ce traité ne concerne pas directement le duc des
Francs Hugues qui préfère faire venir Alain
Barbetorte en Bretagne pour en chasser les
Normands de la Loire. Premiers pas du Tricheur en
chartrain grâce à son premier mariage
Défaite importante des Normands de la Loire
(guère plus soutenus par ceux de la Seine) en Berry
du nord face aux contingents thibaldiens
Hugues le Grand devenu duc des Francs va
réorganiser la Neustrie qui était sous sa
domination : promotion de nouveaux comtes dont
les Ingelgeriens puis les Thibaldiens
Des ascendances rorgonides, antérieurs à 911, ont pu jouer dans les prétentions de Rollon sur l’axe Évreux-Chartres, voir
Jackman, 1999, p. 139 et sq.
345 Demarchus : « deux fois marquis », voir Guillotel, 2000, p. 11.
346 Bauduin, 2005, p. 188.
347 Van Tordhout, 2010, p. 610.
348 Van Tordhout, 2010.
344
88
Dates
937-938
943-945
948-954
952 († Alain
Barbetorte)
Après la mort
du duc et de
Drogo (956)
958-962
349
350
Événements chez les Normands de la Seine
Lutte d’influence en Bretagne après la mort
du roi Raoul : le retour puis la reconquête
d’Alain Barbetorte sont soutenus par le duc
Hugues l’éloignant des Rollonides
Après la mort de Guillaume et pendant la
minorité de son fils Richard, le roi Louis IV et
le duc se partage la tutelle de la principauté.
Le Robertien prend l’Évrecin, et reprend le
Hiémois méridional et le Bessin
Harald et les mercenaires vikings du BessinCotentin restent liés au duc349 Hugues le
Grand, jusqu’à la restauration définitive de
Richard Ier par ce dernier
La politique d’Harald ajoutée à celle d’Alain
Barbetorte avait rompu les liens entre les
Normands et la Bretagne du Nord-Est
Plusieurs raids scandinaves (donc avec l’aval
de Richard Ier) sur une Bretagne fragilisée dont une opération à Nantes350
Tensions aux frontières entre les deux
grandes marches de l’ancienne Neustrie
pendant la minorité du fils du duc, Hugues
Capet. Le Tricheur se pose aussi en arbitre
et « régent » en Neustrie, il se fait aussi le
défenseur des intérêts de Lietgarde
Événements dans le reste de la Neustrie
Thibaud le Tricheur entame la procédure qui
aboutira à la récupération du comitatus au sein de
la cité de Chartres. Plus globalement son grand
comté se présente comme une contre-marche
Participation de Thibaud Ier dans la campagne
normande. Le comte épouse la veuve de Richard. Il
reçoit une part notable de l’héritage Herbertien. Il
est un temps le geôlier du roi (pour avaliser son
statut à Chartres et au nord en Francie)
Statu quo - si le duc rétablit le jeune Richard Ier, il
se repose sur Thibaud Ier pour le maintien des
frontières : Eu, Epte, Eure, Avre, jusqu’à la vallée
de la Sarthe voire le nord-est du comté de Rennes
Répartition des zones d’influence sur la Bretagne.
Thibaud Ier s’est substitué au marquis normand
dans les régions de Rennes et de Dol
Drogo mort, mise en place d’une corégence avec
Foulques II le Bon, puis avec son fils, défendue par
Thibaud Ier, père de la veuve d’Alain
Défaite de Thibaud Ier qui constate la défection du
jeune duc Capet une fois investi (960). Si le conflit
est porté jusqu’aux portes de Rouen, les points de
tension restent l’axe Évreux-Chartres (accentué par
le douaire de Lietgarde) et le Hiémois (Sées). Mort
tragique de Thibaud le Jeune († 962)
Van Tordhout, 2010, p. 615.
Chr. Nantes, p. 111.
89
Annexe III : stemma et alliances des Hugonides orientaux
Les derniers travaux de référence sur les seigneurs de Joinville viennent de (Mathieu, 1992) et (Mathieu, 1999).
L’ascendance entre ces derniers et Roger II de Bolenois et Laon est donnée p. 11, 12 et 27 ; Étienne de Vaux comme
Roger II furent probablement avoués de l’abbaye carolingienne de Saint-Urbain (voir carte n°1). Quant à l’origine
lotharingienne et stéphanide du premier, elle est un peu ébauchée p. 58.
L’union entre Blois et Hugonides à travers Hugues fils de Thibaud Ier avait été identifiée dans (Bijard, 2018) et (Bijard,
2019). Si le degré de consanguinité entre Thibaud l’Ancien et Roger Ier de Blois avoisine les 1:2, celui entre Hugues de
Blois et Helvise, fille de Roger II, serait de 3:4, soit un ordre canonique de 7 donc proche de la ligne rouge que
l’aristocratie d’alors effleure dans les redoublements d’alliance.
La proposition de séparation tranchée entre histoire du Bassigny et du Bolenois vient de la présente étude, à l’inverse
de (Chaume, 1925) et de (Doumerc, 2020). Tout comme l’est l’origine maternelle de Stéphane/ Étienne de Troyes.
90
Annexe IV : quelques précisions sur Garnier de Sens
Nous avions dressé lors de notre dernier article 351 un premier aperçu sur les origines possibles des Bosonides
Garnériens. Le fait de faire de Richilde une fille de Garnier de Sens ne peut que rouvrir 352 ce dossier difficile.
Nous confirmons ici que pour travailler sur Garnier de Sens, il ne faut ni partir de son anthroponyme 353 – donc sur
l’onomastique - ni sur Sens et plus généralement le nord de la Bourgogne franque.
Le seul indice solide le concernant mène aux Nivelo-Wilhelmides et à l’héritage d’Eccard. Parmi les biens cédés à
l’abbaye de Fleury-sur-Loire figurait le domaine de Jully-lès-Buxy. Mais comme nous le voyons par ailleurs, certaines
volontés d’Eccard ne furent pas respectées354. Jully-lès-Buxy a pu être récupéré par des descendants collatéraux
d’Eccard car il ne figure plus dans les biens Fleury dans un précepte royal de 900. En tout cas en septembre 948355
Manassès, petit-fils de Garnier fait don à Cluny de cette villa et de préciser : « sunt res meæ quę adjacent comitatui
Cabilonensi, quę de paterna hereditate mihi obveniunt, quas pater meus Vuarnerius possedit jure dominantis ». Nous
avions identifié d’autres liens des Garnériens avec les Nibelungides bourguignons.
Rappelons que les deux Sippen, Nibelungides (Nibelung, Eccard, …) et Wilhelmides (Bernard, Guillaume, Thierry /
Théodoric, …) ont contacter divers liens matrimoniaux356 et à la fin du IXe siècle on peut parler à leur propos de la
parentèle élargie des Nivelo-Wilhelmides, bien implantée dans la Marche d’Autun. Citons aussi également comme
Sippe les Garinides/ Warinides avec pour marqueurs onomastiques particuliers : Garin et Isembard. Ils sont présents
en divers endroits de l’espace carolingien, mais notamment de l’Auvergne à la vallée de la Saône, et vont s’unir aux
Wilhelmides et finiront, pour cette région, dilués dans cette dernière parentèle.
Si la marche d’Autun constitue le premier barycentre géographique des intérêts de Garnier, nous pouvons chercher en
d’autres lieux de cette entité, les traces de cette présence. Nous avions vu qu’une partie de sa descendance avait pris
pied en Beaunois et au-delà en Dijonnais. Les Nivelo-Wilhelmides sont probablement à l’origine de cette puissance
foncière et politique. En octobre 878, l’évêque Jean de Chalon un Nivelo-Wilhelmide cousin de Thierry, fit des
confirmations et des dons : à Fleurey-sur-Ouche dans le pagus de Mesmont, à Givry en Chaumois, et en Beaunois. Le
cartulaire de l’Église Autun (n° XIII) nous dit que Louis-le-Bègue assure au chapitre de Saint-Nazaire la possession de la
terre de Bligny-sur-Ouche en Beaunois. Cela se fit avec l’assentiment du comte Thierry (Theodorici comitis).
La seconde chose qui soit assurée pour Garnier est son union avec Theutberge fille de Thibaud (voir stemma n°1),
petite-fille du roi Lothaire II et de Hucbert, duc en Transjurane. Si l’origine de Garnier est donc loin d’être obscure, ce
mariage n’en est pas moins hypergamique. Elle apportera sans doute à Garnier un rang comtal et, de par sa femme,
un nouveau point d’ancrage qui est à chercher au sein ou aux marges du duché de Transjurane qui devient à l’époque
de Garnier le royaume welf de Bourgogne. Thibaud, père de Theutberge, est du parti de son cousin Boson dans sa
course à la royauté. Blessé dans la guerre contre les carolingiens, Théobald se réfugie en Bourgogne selon René
Poupardin. Il peut avoir défendu les intérêts bosonides en Transjurane. Nous verrons que la dot de Theutberge n’est
pas à chercher autour du lac Léman mais plutôt dans l’actuelle Franche-Comté.
Ce dernier point peut se déduire des études faites sur la descendance de Garnier et l’importante place que joue la cité
de Besançon et le pagus du Varais. Par exemple, évoquons l’archevêque Théodoric (au nom Nivelo-Wilhelmide) qui
tient le siège de Besançon dans les années 880. Thierry comme Manassès de Transjurane – un très proche de Garnier semblent appuyer en 880 la genèse du Royaume du Welf de Rodolphe Ier marquant là une inflexion par rapport à la
politique paternelle, celle de Théobald.
351
Nous renvoyons le lecteur une fois pour toute à (Bijard, 2021), en particulier aux pages 15 à 18.
Les riches échanges avec Philippe Thuillot (Thuillot, 2019) nous ont motivé à clarifier certains points.
353 Nous avons pu croire avec d’autres auteurs a un lien direct avec les Widonides.
354 (Manteyer, 1925) cité dans (Bijard, 2021).
355 Cartulaire de Cluny, acte n°726.
356 (Lauranson-Rosaz, 2006) cité dans (Bijard, 2021).
352
91
Manassès, comme Garnier, est un anthroponyme qui ne vient pas de la famille de Theutberge. Ce nom, sous cette
forme, fait florès autour de 900 pour cette Sippe. Le fils de Garnier, qui sera archevêque d’Arles, le porte. Son possible
oncle, Manassès, époux d’une Alexandra357, signe sous ce nom pour divers actes concernant des biens autour du lac
Léman, notamment dans le pagus Équestre. Il y a enfin la branche cousine des Manassides, avec le comte Manassès
l’Ancien, bras droit du duc Richard le Justifier, puis avec un de ses fils, Manassès junior358. Pour revenir à notre
branche Garnérienne, ce sont autant d’indices qui justifient diverses responsabilités au sein du palais du royaume
rodolphien et dont la consécration sera l’élévation de Hugues de Vienne au titre de comte palatin.
Manassès est une variante de Mainier / Méginard – c’est le nom d’un aïeul qui a tenu une place importante en
Bourgogne et notamment à Sens. Cette attraction paronymique vers un vieil anthroponyme de l’élite patricienne
bourguignonne, Manassès, traduit bien les ambitions des deux branches – Bosonides Garnériens et Manassides – au
sein des espaces bourguignons. Dès lors un autre regard peut être porté sur celui de Garnier. Sa racine est Warn*. Elle
est utilisée rarement au sein des Nivelo-Wilhelmides : on trouve Guarnarius dans le Manuel de Duoda et un
Warnegarius dans le testament d’Eccard. Néanmoins, vu l’usage particulier dont fait cette parentèle du nom
Manassès, on peut aussi élargir la signification de ce radical Warn et en faire une référence aux Garinides qui comme
nous le rappellerons a exercé un rôle au nord de la Bourgogne. Justement revenons à l’histoire de Sens.
*
Pour comprendre l’histoire du comté de Sens, nous devons remonter à la famille de Hardrad qui est connue pour avoir
conspiré contre Charlemagne en 785-786359. Les chefs de la conjuration faisaient partie de l’élite comtale de Francie
orientale, et même du sommet de l’élite dirigeante. Hardrad se rattache au groupe des Ruthard-Hardrad, lié au comte
Warin, un des plus puissants agents de Charlemagne.
Avant 800, Maynard ou Méginard ou Meginharius, est le premier comte de Sens attesté, investi par l'empereur
Charlemagne. Il est marié à la fille de Hardrad. Ils auront un fils Reginharius ou Renard. Lorsque Bernard360, roi d’Italie,
s’oppose à son oncle Louis le Pieux en 817, il a comme partisan un certain Reginhar. Dans les Annales Regni
Francorum et la biographie de Louis écrite par Thégan, on lit que son grand-père maternel était Hardrad.
L’histoire de ceux qui tiennent le comté de Sens devient plus difficile à suivre ensuite. Il faut attendre l’arrivée des
Welfs dans la seconde moitié du IXe siècle pour renouer avec un ténu fil conducteur. Le comte d’Altdorf Welf /
Welfhard est l’ancêtre agnatique de cette lignée. Sa fille Judith, troisième épouse de l’empereur Louis le Débonnaire,
met en exergue cette famille. Welf Ier († 825) est le fils d’un comte Ruthard lui-même fils d'un Hardrad, sans doute
apparenté aux Warinides et qu’on rapprochera naturellement du Hardrad, beau-père de Méginard.
Les petits-fils du premier Welf, Welf II († 881) et/ou Conrad († 882), tiennent parmi leurs très nombreux honneurs,
l’abbatiat laïc de Sainte-Colombe près de Sens qui est alors le marchepied pour tenir le comitatus. Tout comme l’est
l’abbaye Saint-Germain à Auxerre, autre cité devenue Welf. Et c’est dans le dernier quart de ce siècle qu’ont pu
apparaitre les fonctions vicomtales dans ces cités du nord de la Bourgogne, visant à appuyer le pouvoir Welf.
La génération qui va donner naissance à Garnier de Sens a pu incarner une alliance entre les Nivelo-Wilhelmides et
des descendants de Méginard de Sens. Cette double légitimité Garinide/ Warinide d’une part, et Maynard-Renard
d’autre part, place idéalement la famille de Garnier pour l’obtention de l’honneur vicomtal de Sens. Leur fidélité aux
Welfs est confirmée par la place que tient leur autre héritier, Manassès de Transjurane.
La seconde grande alliance matrimoniale – celle de Garnier et Theutberge - confirme la réconciliation politique entre
les Bosonides Hubertiens et le parti Welf après les luttes pour la possession de la Transjurane et de l’abbatiat de SaintFamille patricienne bourguignonne, à rapprocher d’un archevêque Alexandre de Vienne.
Un évêque Garnier, à Langres au début du Xe siècle, semble être un proche des Manassides.
359 Identité thuringienne et opposition politique au VIII e siècle - Régine Le Jan – en ligne :
https://www.academia.edu/60506316/Identit%C3%A9_thuringienne_et_opposition_politique_au_VIIIe_si%C3%A8cle
360 Regni Francorum, a. 817, p. 148 ; Thégan, Gesta Hludowici imperatoris, c. 22, p. 212.
357
358
92
Maurice d’Agaune. Si leur fils Manassès est nommé archevêque d’Arles vers 915, ce mariage ne peut être postérieur à
890, en raison des règles d'accession à l'archiépiscopat. À la même période, le welf Rodolphe Ier avait d’ailleurs donné
des gages de bonne volonté aux Bosonides qui tiennent la Bourgogne ducale et la Provence : il cède ses droits sur Sens
et Sainte-Colombe à sa sœur Adélaïde, épouse du duc Richard ; il lui cède aussi l’abbaye royale de Romainmôtier dans
cette région charnière où Garnier – via Theutberge – et son parent Manassès, époux d’Alexandra, sont possessionnés.
Theutberge apporte aussi le titre comtal à Garnier mais cela ne concerne ni Sens, ni Provins, ni Melun, ni le Morvois au
nord de Troyes. Lors de sa mort à la bataille de Chaumont en 925, nous voyons que les sources primaires distinguent
bien un vicecomitatus lié à Sens et un comitatus dont la géographie n’est pas précisée :
•
•
•
Chronique de Clarius, p. 481, interfectus est Warnerium, vicecomes Senonum
Richer, Liv. I, p. 86-87: Manasse ac Warnerum comitibus
Flodoard, a. 925 : Cum quo Warnerius et Manasses comites
Le détroit de la responsabilité comtale de Garnier est ainsi difficile à déterminer, on ne peut procéder que par
élimination. Même si le débat ne peut se clore, le Varais, obtenu grâce à son épouse, reste une piste probable. Les
descendants de Garnier auront des biens du côté de Besançon361. Hugues de Vienne et Berthe, sa sœur hypothétique,
auront362 des liens étroits avec l’Église de Besançon. Toujours dans cette région, il y a ce bien363 à Fontaine-Garnier –
toponyme suggestif – où le comte Hugues de Vienne souscrit une donation. Ce dernier364 donne « pro redemtione
animae suae » au chapitre de l'église Saint-Étienne de Besançon la « villa » de Pouilley-les-Vignes, avec son église
Saint-Albin. C’est depuis la province de Besançon que notre Hugues de ‘Cisalpine’ joue un rôle diplomatique préparant
le traité de Visé365.
La dernière source citant Garnier, celle d’Odorannus de Sens, nous dit pour le milieu des années 890 - Richardus,
princeps Burgundiœ, recepit Senonas contra Walterium archiepiscopum et Warnerium comitem (Odoranni Chr. T. 2, p.
237) ; Aubry de Troisfontaines précisera plus tard que l’archevêque Gautier, et lui seul, sera captif du duc. La première
chronique rappelle la prééminence de Richard sur Sens, confortée par son épouse Welf, Adélaïde, contre l’archevêque
et contre Garnier qui a soutenu un temps ce dernier avant de se réconcilier avec Richard.
Outre Manassès qui fera sa carrière cléricale en Provence, les différents enfants de Garnier semblent avoir obtenu le
soutien de leur puissant oncle maternel, Hugues d’Arles. Nous sommes ici dans un système d’avunculat.
Vers 910 une charte366 du roi Rodolphe Ier émise à Saint-Maurice devant Hugues d’Arles et Garnier junior précise : « …
qualiter Hugo et Warnerius nepos illius ac fidelis noster … » pour la villa de Perroy (Vaud), donc sur le lac Léman.
En 912367, pour Saint-Maurice de Vienne, et devant l’évêque Alexandre, qui est peut-être un proche d’Alexandra,
testent : S. Vegoni, gratia Dei comitis (Hugues d’Arles) … S. Bosonis comitis (frère de Hugues) … S. Nevelongo
(anthroponyme Nibelungide). S. Vegonis (futur Hugues de Vienne) … S. Richardi (futur Richard de Troyes) … S. Ratburni
vicecomitis … S. Varnerii (probablement le Garnier cité auparavant).
En 920, le marquis Hugues d'Arles, vend à l'abbaye de Saint-André-le-Bas368 et à l'empereur Louis, recteur de l'abbaye,
la villa et l'église de Crésencieux, pour trente livres d'argent. Il reçoit également un dorsal d'or. Signum Hugonis ducis,
qui fieri & firmare in presente rogavit. Alexander, Viennensis ecclesie episcopus humilis, propria manu firmavit. Signum
361
Acte perdu, mentionné dans la confirmation des biens du chapitre cathédral de Besançon par Conrad III le Pacifique le 4
septembre 967. Voir aussi (Moyse, 1989, n°7, p. 25) cité dans (Bijard 2021).
362 En évitant la confusion avec Hugues le Noir.
363 Cartulaire de Cluny, acte n°419.
364 (Moyse, 1989, n°7, p. 25) cité dans (Bijard 2021).
365 Nommé ainsi dans Flodoard (a. 939).
366 RHGF, T. IX, p. 693.
367 Gallia Christiana, Tome XVI, Ecclesiae Viennensis Instrumenta XVII, p. 13.
368 Cartulaire de Saint-André, pièce n°24.
93
Bosoni filio Villelmi. Signum Ingelberti. Signum Hugoni. Signum Ricardi. Signum Ebboni. Signum Raimboldi. Signum
Atenulsi. Signum Teudoini. † Manasses, gratia Dei humilis archiepiscopus, subcripsi.
Plus tard nous voyons Hugues de Vienne, récupérer de nombreux biens de son oncle Hugues d’Arles (Octavion et le
Sermorens en Viennois369) mais aussi être le garant testamentaire de divers biens bosonides.
Terminons en rappelant que Renard, frère de Manassès l’Ancien, malgré une richesse proverbiale que rappelle la
Geste des Évêques d’Auxerre, n’est que vicomte à Auxerre. C’est le pendant de Garnier dans cette cité.
Après que Hugues le Grand eut chassé du Sénonais, Richard de Troyes, il nommera comme vicomte, un fidèle,
Fromond. D’après le nom de son fils Renard, il aurait épousé une Manasside, qui à relier au vicomte d’Auxerre cité
auparavant.
Quand Walon, un pro-Herbertien, intervient dans une élection d’archevêque à Sens370 – sa légitimité découlerait aussi
son origine Manasside, comme l’indique son anthroponyme diffusé dans cette famille.
L’histoire de Sens des IXe et Xe siècles ne peut donc se comprendre sans avoir en tête son premier comte attesté,
Maynard, ni la présence Warinide qui entoure cette implantation.
369
370
(Manteyer, 1899, p. 443-444) cité dans (Bijard, 2021).
Flodoard, p. 79-80 ; Chronique de Saint-Pierre-le-Vif, p. 76.
94